A la veille de mourir, Jean Cocteau se montrait mélancolique et souvent amer dans le dernier tome de son journal, qui sort enfin.
En 1958, Jean Cocteau (1889-1963) est à la veille de fêter ses 70 ans. Le temps est passé, une vie est derrière lui, plus rien n’est réparable. Reste, de son histoire, de cette créativité extraordinaire du Paris des années 20 dont Cocteau fut le témoin, l’acteur, le moteur, un seul compagnon d’armes : Pablo Picasso, qui apparaît régulièrement, souvent cocasse, parfois irritant, mais toujours comme une sorte de dernier des Mohicans, aux côtés du poète, d’une époque révolue.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est que la création de cette fin des années 50, Cocteau la méprise, qui dégomme au passage la jeune Françoise Sagan. Il y a bien une forme d’amertume, parfois même d’aigreur, dans le dernier tome de son journal – un dénigrement systématique et un peu vieux con du contemporain, comme s’il se sentait exclu de son temps. Est-ce parce que son temps a souvent tenté de l’exclure, lui dont l’originalité inclassable semblait toujours déranger (notamment les surréalistes…) ?
« Je ne crois pas qu’il existe un auteur plus incompris que moi, et si je n’avais pas transformé les pierres de silence que chacun m’ajoute en un véritable temple de la solitude, je sombrerais dans une mélancolie incurable. »
Pourtant, Cocteau n’est pas si seul. Il vit avec le jeune Edouard Dermit, dit Doudou, dans sa belle demeure de Milly-la-Forêt (allez la visiter ne serait-ce que pour sa chambre aux murs couverts de papier peint léopard), est très lié avec Francine Weisweiller, amie et mécène dont il peindra les murs de la villa Santo Sospir, fréquente artistes qui comptent et têtes couronnées, voyage au gré de ses travaux (peindre une chapelle, réaliser un film, etc.).
C’est d’ailleurs l’époque où il réalise son dernier film, Le Testament d’Orphée, notamment grâce au soutien de François Truffaut qui investit une part des gains des 400 Coups dans la production du film. « Ma vie aura été un long suicide et chacune de mes oeuvres un testament. (Mes dernières volontés) », note Cocteau le jeudi 24 avril 1958. Pourtant, il multiplie les activités, regorge de vitalité, courant partout, brassant du monde, enregistrant des émissions, donnant des entretiens.
Peut-être parce que « parfois l’idée qu’il faudra bientôt mourir et que c’est inévitable me cause une manière de stupeur. La vie du film remplacera la mienne. Et le pire c’est cette menace autour de nous. »
Dans ses notes, ses fragments, plane la menace d’être balayé par le temps, remplacé par ses oeuvres, et peut-être, un jour, oublié par ces jeunes générations.
D’où la multiplication des activités, l’écriture de ce journal à toute allure : sentant la fin, Cocteau est un homme trop pressé pour les fioritures ou les explications, pour l’approfondissement, entraînant probablement le ton sec, parfois expéditif, de ce dernier volume ( » Tout ce qui est étranger au phénomène qui consiste à me métamorphoser en oeuvres me devient de plus en plus insupportable »).
Le Passé défini VI (1958-1959) (Gallimard), 794 pages, 29 euros.
{"type":"Banniere-Basse"}