Kidnappée, violée par un ex-amant en cavale, l’écrivaine et activiste américaine Lacy M. Johnson témoigne de son calvaire et pose des mots sur l’impossible reconstruction des victimes qui n’ont pas obtenu justice.
“Voici la version courte : pendant cinq heures, le 5 juillet 2000, j’ai été retenue prisonnière dans une chambre insonorisée d’un appartement en sous-sol dans le seul but de me violer et de me tuer.” La version longue, l’Américaine Lacy M. Johnson l’a déployée dans un récit puissant, glaçant, clinique, publié quatorze ans après les faits. Aujourd’hui traduit pour la première fois, le texte fait écho aux lettres et aux luttes d’autres victimes, d’autres survivant·es. Galaxie de douleurs, de traumas et d’effroi.
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A chaque drame, son piège, sa dramaturgie inéluctable, et pourtant presque toujours la même logique de prédation. La traque commence ici quand l’autrice de 19 ans, étudiante, se fait happer par les leurres aux atours charmeurs de son professeur d’espagnol, carnassier, deux fois plus âgé. La nasse, alors, se referme et la tragédie s’esquisse : isolement, emprise, jalousie, humiliation, violence, contrainte. Harcèlement. Et puis l’effondrement absolu de la raison, la rupture d’humanité, une explosion de la violence, inouïe, irrévocable.
Ecrire, alors, “c’est créer une porte”, se donner le droit et les moyens de “terminer” l’histoire
“Terminer” l’histoire
Le bourreau de Lacy M. Johnson n’a jamais été arrêté. Il court en Amérique du Sud, hante ses rêves et ses visions, entrave toute possibilité de reconstruction ou de paix. L’autrice l’écrit, dès lors, elle n’est “pas encore morte”, mais plus tout à fait vivante non plus. Reléguée au paradoxe quantique du chat de Schrödinger. Piégée dans l’histoire inachevée, dans une énigme insoluble.
Ecrire, alors, “c’est créer une porte”, se donner le droit et les moyens de “terminer” l’histoire. Ce récit dont elle a été dépossédée et qu’il a fallu se réapproprier : “Il y a l’histoire que j’ai, et l’histoire qu’il a, et il y a l’histoire que la police conserve dans la salle des pièces à conviction […] C’est un infini réseau d’histoires. Cette histoire me dit qui je suis. Elle me donne un sens.”
En 2020, en France, on estime que pour 100 viols ou tentatives, une seule condamnation est prononcée. 99 % des victimes restent piégées dans cet entre-deux quantique, ces “états superposés” que Lacy M. Johnson humanise, sur lesquels elle pose des mots comme rarement on l’a fait avant elle. C’est pour elle-même que l’autrice écrit, par besoin, pour “avancer”, mais c’est à nous tous·tes qu’elle s’adresse : No justice, no peace.
Je ne suis pas encore morte (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, 214 p., 20 €
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