L’une des premières publications de l’autrice américaine mais la quatrième traduite en France, ce texte hybride dessine le portrait poétique de sa tante assassinée.
“Un jour, en fouillant dans le ‘débarras’, écrit Maggie Nelson à la page 30 de Jane, un meurtre, je trouve quelques feuilles volantes d’un journal intime dont je suppose qu’il s’agit du mien : des pages et des pages pleines de doutes ; un ton de plainte permanente ; et un désir, un désir vif, pas encore enfoui dans mes poèmes.” Le journal que découvre alors l’adolescente est en fait celui de sa tante Jane, assassinée en 1969, à l’aube de sa vie d’adulte, par un serial killer. L’affaire avait fait la une des journaux à l’époque : Jane, étudiante en droit de l’université du Michigan, rejoignait dans la mort dix autres victimes, toutes des jeunes femmes trouvées comme elle violemment poignardées, dans des mises en scène macabres.
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L’intimité en fragments
Celles et ceux qui connaissent déjà l’œuvre de Maggie Nelson se souviennent peut-être de cette triste histoire : elle a fait l’objet d’un livre précédent, Une partie rouge, republié ici tête-bêche, au verso du livre. Jane, un meurtre est en fait l’un des premiers livres de l’écrivaine américaine, bien que le quatrième traduit en France.
On y trouve déjà en germe ce qui fait d’elle aujourd’hui l’une des voix audacieuses de la littérature américaine contemporaine, à commencer par sa façon unique d’entremêler poèmes, journalisme d’enquête, extraits de presse, réflexions philosophiques, rêves, fragments de journaux intimes.
Il y a donc ce journal de Jane, photocopié en cachette, lorsque Maggie Nelson le découvre, mais aussi le sien propre, qui révèle l’enfant, l’adolescente, la jeune fille qu’elle fut. Jane, un meurtre est d’ailleurs le livre le plus intime de Nelson, qui se dévoile ici par effet de miroir, en s’adressant au fantôme de sa tante autant qu’à elle-même. “L’esprit de Jane continue de vivre en toi”, lui dit à un moment sa mère.
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Aussi noir qu’obsédant
Comment un traumatisme ressurgit-il ? C’est l’une des questions passionnantes que pose Une partie rouge. Souvent sans crier gare, aux moments les plus anodins de l’existence, comme quand Maggie et sa mère vont au cinéma voir Freeway, et découvrent cet auto-stoppeuse tombée entre les mains d’un assassin, tout comme cela arriva à Jane. Ou encore quand cet inspecteur de la police du Michigan téléphone à sa mère, en 2005, pour lui annoncer qu’ils ont sans doute trouvé le meurtrier, qui n’est pas l’homme emprisonné depuis plus de trente ans. Ironie du sort, ce retournement de situation se produit au moment même où l’autrice achève Jane, un meurtre. La suite ressemble parfois à un roman de James Ellroy, aussi noir qu’obsédant, jusqu’au dénouement inattendu.
“L’idéal de catharsis qui m’avait aiguillonnée de façon bien naïve, et pourtant très réelle, pendant l’écriture de Jane, commence à prendre l’eau”, note-t-elle, tandis que ces images de sa tante massacrée, qui la hantèrent longtemps, ressurgissent en grand format, projetées sur les murs de Cour de justice où elle assiste au nouveau procès. Tant pis pour sa thérapie, et tant mieux pour la littérature. Car comme l’écrivit Edgar Allan Poe, que cite Nelson : “La mort d’une belle femme est, incontestablement, le plus poétique sujet du monde.”
Jane, un meurtre. Une partie rouge (Editions du sous-sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy et Julia Deck, 448 p., 23 €
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