Deux siècles après sa disparition, l’écrivaine anglaise reste à la pointe pour la dissection des tumultes sentimentaux.
Et si les romanciers étaient de grands enfants, avides de jeux, de vacances et de divertissements ? Des amuseurs prompts à se refiler les meilleures adresses de villégiature, au premier rang desquelles figure aujourd’hui l’oeuvre d’une femme de lettres anglaise, que le fait d’être décédée il y a près de deux siècles n’empêche nullement d’être l’une des écrivaines les plus prolifiques du millénaire naissant ?
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Par pastiches, détournements et hommages interposés, Jane Austen jouit d’une aura assez bluffante : mise à toutes les sauces littéraires, du gore à la chick lit, et inspiratrice d’une kyrielle de films se déroulant de Beverly Hills à Bollywood, l’auteur d’Emma et de Raison et sentiments est éminemment bankable, et le doit au fait que, parmi les grandes oeuvres classiques, la sienne se distingue par sa faculté unique à s’évader du musée pour susciter de nouveaux coups de foudre.
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Contrairement à sa cousine des cumulose nimbus, la foudre artistique frappe volontiers deux fois au même endroit. Avoir, à 20 ans, découvert coup sur coup Orgueil et préjugés et Le Genou de Claire (l’ode à l’été, au badinage et aux cueilleuses de cerises du plus sensuel des cinéastes français, Eric Rohmer) prédispose peu à se tourner vers une vie de labeur mais présente l’immense avantage de révéler que, loin de nécessairement rimer avec tragédie dans les landes du Yorkshire ou sucreries pour diabétiques du sentiment, l’amour peut, en littérature comme au cinéma, devenir un formidable outil à affûter l’esprit.
Chez Austen, l’amour rend intelligent, décuple les capacités d’analyse et met de l’élégance dans des maximes dignes d’Oscar Wilde – on y apprend qu’en matière de sentiments « une mémoire trop fidèle est impardonnable ». Le tout aux dépens des personnages qui, avant tout attachés à leurs principes, édictent des règles du jeu (et du je) dont l’intransigeant respect traduit par un insidieux dérèglement du moi, pris entre, précisément, raison et sentiments. Ou pulsions, Martin Amis s’amusant dans La Veuve enceinte à faire de l’héroïne d’Orgueil et préjugés un Stromboli érotique en puissance.
Corollaire d’une ironie dramatique voulant que, très occupés à enjôler autrui, les personnages se mentent régulièrement à eux-mêmes, l’art de Jane Austen tient à sa façon de mettre en scène la parole. Si, à la relecture, on constate dans son oeuvre la quasi-absence des paysages printaniers dont on gardait un vif souvenir, c’est parce qu’ici ce sont les dialogues eux-mêmes qui verdoient, dessinent des jardins anglais, des labyrinthes et des pelouses en forme d’échiquier, sur lesquels jeunes filles en fleurs, femmes de tête en robe Empire et marieuses invétérées affrontent des jeunes gens bien nés, garantissant à toute nouvelle génération de lecteurs le plus ludique des séjours estivaux.
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