Alors que paraît « Perfidia », premier volet de sa nouvelle tétralogie de Los Angeles, James Ellroy évoque ses techniques d’écriture et le politiquement correct.
Votre nouveau roman, Perfidia, débute à la veille de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor…
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James Ellroy – Exact. Ce que j’essaie de créer, c’est une histoire de ma ville, Los Angeles, et de mon pays, les Etats-Unis, entre 1941 et 1972, entre Pearl Harbor et le cambriolage de l’immeuble du Watergate, qui fut le plus grand crime politique de l’histoire américaine. Mon travail, c’est de créer une toile d’araignée où se côtoient l’obsession sexuelle, la corruption politique, les antagonismes raciaux, la spéculation foncière, les magouilles financières liées à la guerre, le comportement débauché des stars de cinéma. Je mets tout ça dans un shaker et je l’agite, parce que c’est ce genre de truc qui fait décoller la fiction populaire. Oui, baby, ça la fait décoller !
Perfidia repose entièrement sur les personnages et les dialogues. L’absence de descriptions fait qu’il se lit à toute vitesse.
C’est l’effet recherché. Je voulais que ce rythme infernal place le lecteur dans une situation de surcharge sensorielle. J’ai écrit ce livre en temps réel pour cette raison spécifique, pour que le lecteur soit dans l’instant. Je n’écrirai plus jamais un livre en temps réel, mais là, je voulais rendre sensible le fait qu’en décembre 1941, Los Angeles vivait vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec des raids aériens, des black-out, des gens qui avaient peur de s’endormir parce qu’on était au lendemain de Pearl Harbor et que les putains de Japs allaient les bombarder ou les envahir d’un moment à l’autre. On voyait venir un avion innocent, on le descendait. Je voulais que cette peur et cet épuisement soient communicatifs, afin que vous ressentiez le besoin d’alcool, de cigarettes, de drogues, de liaisons adultères. C’est pourquoi l’idéal est de lire ce livre en une semaine, cent pages par jour. Comme ça, le comportement obsessionnel des personnages devient logique.
L’un des personnages marquants, Dudley Smith, enchaîne les assassinats, et est tellement increvable qu’il pourrait aussi avoir des pouvoirs surhumains…
Dudley est manipulateur, infatigable, séduisant, charismatique. C’est également un tueur né. Je sous-entends donc qu’avec son charme, son éloquence et son immoralité totale, il est strictement une création du diable. Dans le domaine de la fiction, la moralité repose en grande partie sur l’exposition des conséquences karmiques d’actions immorales.
Dudley séduit Bette Davis, dont un personnage affirme qu’elle et Joan Crawford ont “sucé la moitié de la ville”…
Los Angeles, et en particulier Hollywood, ont toujours attiré des gens qui voulaient devenir quelqu’un d’autre, qui voulaient se forger une nouvelle identité, une identité échappant aux règles communes. C’est comme ça que je vois Hollywood. La drogue, l’alcool, la débauche sexuelle. Une atmosphère de frénésie égalitaire qui rendait possible le fait que Bette Davis ait une liaison avec un flic comme Dudley Smith.
Pourquoi faites-vous de Dudley Smith le père d’Elizabeth Short, le Dahlia noir ?
J’ai voulu ramener Elizabeth à la vie. J’ai ressenti l’obligation morale de la représenter comme quelqu’un de jeune et de plein d’énergie. Pour moi, elle est davantage qu’une jeune femme retrouvée coupée en deux dans un terrain vague de Los Angeles. Elle s’est fait assassiner à 22 ans, ici elle en a 17. Elle va donc évoluer dans les romans suivants. J’aime beaucoup Elizabeth, elle m’a beaucoup appris sur ce que c’est qu’être un humain et un homme.
Vous êtes moins tendre avec les personnages homosexuels de Perfidia. Votre couple de lesbiennes a eu un fils dans le but d’en faire un pervers. Comment pensez-vous que ce genre de portrait puisse être perçu ?
Je m’en fiche. Je m’en fiche vraiment. Personne n’avait encore fait de commentaire à ce sujet, que ce soit dans un sens ou dans un autre. C’est la première question qui m’ait été posée à ce sujet. Ruth Cressmeyer et Dot Rothstein sont deux personnages qui ont eu une idée tordue dans les années 20. Ruth a couché à plusieurs reprises avec un homme afin d’assurer la conception de son fils, Huey. Maintenant, Huey est un pervers sexuel et un tueur psychopathe. Tirez-en vos propres conclusions… Je ne me sens pas soumis aux diktats de la correction politique, qui vient du communisme des années 30, quand il y avait des choses que l’on était autorisé à penser et d’autres qu’il était interdit de penser !
Dans Perfidia, les extrémistes de droite font peur et les militants de gauche font sourire. Pensez-vous que les socialistes américains de 1941 étaient ridicules ?
Je pratique un certain type d’humour masculin, et les beaux parleurs sentencieux m’ont toujours fait rire. En 1941, comment les gauchistes de salon pouvaient-ils soutenir Joseph Staline alors qu’il avait tué des millions de gens ? Comment pouvaient-ils ne pas le condamner avec autant de véhémence qu’ils condamnaient Adolf Hitler ? J’en suis stupéfait. Le totalitarisme est un cercle fermé, le nazisme et le stalinisme sont jumeaux. Quand aux populistes américains, il y avait parmi eux des malades mentaux qui allaient jusqu’à souhaiter la victoire des nazis.
Vos personnages favoris ont toujours été des policiers. Que pensez-vous des méthodes de la police américaine, qui ont récemment été critiquées ?
Si vous voulez que je vous dise ce que je pense des événements de Ferguson l’été dernier, ou plus récemment de Baltimore, je le ferai volontiers, mais hors micro… Moi, j’adore les policiers, j’adore les policières, j’adore les enquêtes policières. J’ai le plus grand respect pour les méthodes de maintien de l’ordre à l’ancienne, qui étaient hypermusclées mais qui sont aujourd’hui illégales. A trois reprises, quand j’étais un gamin stupide, je me suis fait botter le cul par le LAPD (Los Angeles Police Department – ndlr), et ça a modifié mon comportement, dans un sens positif. La dernière fois, c’était pendant l’été 1973, et je n’ai plus jamais volé quoi que ce soit depuis. Ce moment a changé ma vie, j’ai une dette de reconnaissance envers les flics de Los Angeles.
Perfidia (Rivages), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Gratias, 848 pages, 24 €
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