Dans son essai visionnaire “Un nouvel âge de ténèbres”, le plasticien et auteur britannique révèle le processus historique et philosophique qui a amené les nouvelles technologies à dominer le monde.
James Bridle est surtout connu pour son œuvre d’artiste – ses installations vidéo et sonores qui révèlent comment les habitus culturels, politiques et sociaux façonnent la technologie, et comment les nouvelles technologies façonnent à leur tour notre compréhension du monde. C’est aussi ce genre d’imbrications signifiantes entre des domaines de la connaissance et des pratiques a priori sans lien qui nourrissent la réflexion d’Un nouvel âge de ténèbres, l’essai de 300 pages que consacre Bridle, comme il l’indique en sous-titre, à “la technologie et la fin du futur”.
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Un nécessaire recul critique
Le livre retrace d’abord l’histoire récente des machines, ordinateurs, réseaux internet, depuis les premiers supercalculateurs jusqu’aux algorithmes, banques de données et autres logiciels automatisés du XXIe siècle. Il déconstruit ensuite l’emprise préoccupante des nouvelles technologies sur notre façon de percevoir ce qui nous entoure et même ce qui nous constitue, à l’instar de cette sorte d’extension de nous-mêmes que sont devenus nos téléphones portables.
“Ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas de nouvelles technologies mais de nouvelles métaphores”
Pour Bridle, l’écueil qui guette toute pensée des machines est la réduction de celle-ci à l’objet qu’elle s’efforce de saisir, par soucis d’efficacité. Cette “pensée computationnelle”, comme il l’appelle, consiste à imiter le mouvement même des machines, sans prendre le recul critique nécessaire. “C’est la croyance que n’importe quel problème peut être résolu grâce au calcul informatisé.”
William S. Burroughs essaya en son temps, à travers les mots qu’il agençait, sa littérature et sa poésie, de créer un virus à l’intérieur même du système de nos pensées rigides, afin de le faire dysfonctionner. Sans citer l’auteur du Festin nu, James Bridle suit ici une intuition similaire : “Ce dont nous avons besoin, écrit Bridle, ce ne sont pas de nouvelles technologies mais de nouvelles métaphores : un métalangage servant à décrire le monde auquel les systèmes complexes ont donné naissance.”
Penser avec ces nouvelles technologies
C’est ce qu’il fait en racontant par exemple comment nous en sommes arrivé·es à confier nos données les plus intimes, notre identité, notre mémoire (virtuelle) à ces bases de données mécaniques stockées sur des giga-serveurs, soit ce qu’on appelle le cloud, ce nuage qui n’a rien de naturel ni d’évanescent.
Il ne s’agit pas pour autant de penser contre mais bien avec ces nouvelles technologies. “En tant qu’outils, précise-t-il, les systèmes computationnels soulignent l’un des aspects les plus forts de l’humanité : notre capacité à agir réellement sur le monde et à le façonner selon nos désirs.”
L’auteur rappelle ainsi ce match épique que gagna récemment un ordinateur formé au jeu de go contre l’un des meilleurs joueurs mondiaux de ce sport. L’ordinateur l’a remporté, non pas parce qu’il avait une longueur d’avance sur l’homme, mais parce qu’il avait “réfléchi” à un coup que toute notre intelligence, nos plus grandes capacités d’entendement, de raisonnement et toute notre imagination combinés n’arriveront peut-être jamais à comprendre.
Un nouvel âge de ténèbres – La technologie et la fin du futur de James Bridle (Éditions Allia), traduit de l’anglais par Benjamin Saltel, 320 p., 18 €. En librairie.
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