Quelques jours après la disparition du philosophe, “Les Inrockuptibles” vous recommande 4 ouvrage pour (re)découvrir son travail.
Professeur au Collège de France, Jacques Bouveresse était admiré de toutes et tous pour sa rigueur extrême et son érudition sans limite. Trop réduite à la philosophie du langage et Wittgenstein, son œuvre prolifique explore en fait bien d’autres domaines, de l’imposture scientifique à la musique. Retour sur quelques livres majeurs du philosophe décédé le 9 mai
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La Parole malheureuse (Minuit, 1971)
Sous-titré De l’alchimie linguistique à la grammaire philosophique, le premier livre de Jacques Bouveresse contient déjà, parfois sous forme d’intuitions, les grandes idées qui façonnent les écrits qui suivent dans sa carrière. La logique d’abord, remise au cœur de la démarche philosophique comme exigence, forme et discipline de pensée. Un rapport critique au langage et ses mystifications ensuite : à rebours de l’engouement d’alors pour certaines élucubrations puisées dans la phénoménologie de Martin Heidegger, Bouveresse analyse les limites et les pièges du langage, dans la recherche de la vérité, par une lecture lumineuse du philosophe Ludwig Wittgenstein. Il trouve aussi dans les traditions allemandes et autrichiennes (Rudolf Carnap, Gottlob Frege) autant que dans la philosophie analytique anglo-saxonne (Karl Popper) une méthode qui privilégie la justification et l’acceptation rationnelle des arguments, sur l’histoire ou la sociologie. La recherche de la vérité – enfin, du mot vrai plutôt que du mot juste – s’impose comme un principe éthique auquel il reste fidèle dans ses travaux.
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Le Mythe de l’intériorité : Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein (Minuit, 1976)
C’est, d’abord et avant tout, en grand “passeur” de l’œuvre considérée comme aride et impénétrable de Wittgenstein que Bouveresse est connu. S’il a consacré de nombreux livres quasi exclusivement au philosophe autrichien, celui-là (sa thèse de doctorat) est sans doute le plus important. Voici ce qu’il écrit : “Wittgenstein a souligné à maintes reprises que la distinction intérieur-extérieur ne l’intéressait pas, et précisé que c’était une manière de dire que la philosophie n’a rien à voir avec la psychologie. Mais, en caractérisant la philosophie comme une recherche conceptuelle ou ‘grammaticale’, il a, de façon plus générale, rejeté comme non pertinentes pour ce dont il est question dans le travail du philosophe toutes les philosophies de la conscience et du sujet.” Et vlan pour Descartes, Rousseau, Hegel ou Kant. Il va plus loin encore, révélant les illusions que l’on prête aux mots pour lesquels on traduit notre soi-disant “vécu personnel” : “Même les concepts qui décrivent ou donnent l’impression de décrire des expériences internes privées comme ceux de ‘douleur’, ‘vision’, ‘sensation’, ‘pensée’, ‘compréhension’, etc., doivent être caractérisés avant tout par la manière dont ils entrent dans des jeux de langage publics que nous jouons les uns avec les autres.” A méditer.
Essais IV (Agone, 1990)
Implacables textes où il pourfend le “terrorisme politico-intellectuel”, les “à peu près” des journalistes, des “nouveaux philosophes” et de ces penseurs à la mode, qui esthétisent tout et n’importe quoi à partir de notions vagues.
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L’Homme probable : Robert Musil, le hasard, la moyenne, et l’escargot de l’Histoire (L’Eclat, 1993)
Un grand livre enfin consacré à l’Autrichien Robert Musil. “La tâche de l’écrivain et de l’artiste, telles que Robert Musil les conçoit, est de faire surgir de nouvelles possibilités ; mais ils doivent savoir en même temps que ce qui se réalise est finalement toujours le plus probable, ce qui explique l’impression que donne l’histoire de se répéter toujours de la même façon et de suivre un chemin qui ne mène à aucune destination et ne correspond à aucun progrès qui nous en rapproche de façon perceptible. Puisque l’histoire humaine n’est pas, selon Musil, celle du génie, mais celle de l’homme moyen, la question qui se pose à l’écrivain est de savoir comment il peut espérer se faire comprendre de la moyenne et transformer la fatalité apparente que représentent le retour inévitable du système qu’il s’efforce de transformer à un état moyen et le rétablissement assuré du règne de la moyenne en une chance authentique pour l’humanité.”
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