L’Ecossais Irvine Welsh, auteur du cultissime « Trainspotting », plante pour la seconde fois son décor à Miami. Aucune substance illicite ici, sauf à envisager le culte du corps, la frime et l’ambition comme d’aussi toxiques addictions. Une satire musclée et hallucinée.
Il y a un an exactement, l’écrivain écossais badass faisait paraître en France Skagboys (Au Diable Vauvert), énorme prequel de Trainspotting, son premier roman, et conclusion magistrale de son cycle de la déglingue “made in Scotland”. Il y a près d’un mois, avec T2 – Trainspotting, c’est le cinéaste Danny Boyle qui portait à l’écran la suite des aventures des antihéros toxicos de l’auteur à tatouages et boule à Z.
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Aujourd’hui, c’est très loin des années Thatcher et des crackhouses d’Edimbourg que nous emmène la nouvelle livraison de Welsh. Titré La Vie sexuelle des sœurs siamoises, cet onzième opus s’ouvre sur les palmiers et les clubs de fitness de Miami Beach. Sur fond de culte du corps, de téléréalité et de malbouffe, l’auteur croque la romance perverse qui unit une coach sportif tyrannique à sa cliente, artiste obèse. Et si pas une ligne d’héro n’est sniffée, ni aucun ecsta gobé en 500 pages, ce roman n’en reste pas moins une plongée hallucinée dans le catalogue des dépendances de notre époque. Addictif !
Comment est née l’idée de La Vie sexuelle des sœurs siamoises ?
Irvine Welsh – Cela faisait très longtemps que j’avais envie d’écrire sur la fausse dichotomie entre le sport et les arts. Et puis, un jour dans une salle de gym de Miami, j’ai vu cette coach qui était en train de gueuler sur sa cliente, au point de la faire pleurer. Je n’arrivais pas à comprendre que quelqu’un puisse dépenser de l’argent pour se faire pourrir de la sorte, alors j’ai commencé à imaginer la relation qu’il pouvait y avoir entre ces deux femmes…
Justement, c’est la première fois que vos personnages principaux sont des femmes…
Ouais, mais je ne me pose pas vraiment la question du genre de mes personnages. Tout dépend de ce que j’ai à dire. Et cette histoire, je ne l’envisageais pas autrement qu’avec des femmes. Ma méthode, c’est de m’asseoir à ma table et d’écrire. Je ponds un premier jet puis j’y reviens et je vois ce que je peux faire de cohérent avec ce matériau brut.
La Vie sexuelle des sœurs siamoises a été écrit juste après Skagboys. Cela a-t-il été compliqué de se défaire de Renton & Cie pour composer d’autres personnages ?
Au contraire, cela a été très libérateur. Après tout le temps passé à écrire cet énorme pavé, pouvoir dire bye-bye à tous les gars, à l’héroïne et la noirceur d’Edimbourg pour filer sous le soleil de Miami et parler d’autre chose, c’était génial !
D’ailleurs, c’est la seconde fois que vous situez l’un de vos romans à Miami. Pourquoi cette ville ?
Parce que c’est vraiment très différent de là d’où je viens, je crois. Le climat, la lumière, les gens : rien ne ressemble à Edimbourg. Et puis c’est une ville de migration. Personne n’est vraiment originaire de Miami. Les gens viennent de toutes les parties du monde et ça change la manière dont ils interagissent. La première fois que j’y suis allé, j’ai été frappé par la multitude de communautés, de destins, de modes de vie qui se juxtaposent. J’ai immédiatement voulu faire part de la complexité des réalités qui y coexistent. C’est un incroyable endroit sur lequel écrire.
La Vie sexuelle des sœurs siamoises est un livre sur les obsessions de la société américaine. Quelles sont celles qui vous ont frappé en premier lieu ?
Oh, les voitures surtout ! (rires) La bouffe et le sport aussi.
Justement, dans vos romans, qu’on parle de drogue, de bouffe ou de sport, c’est toujours d’addiction qu’il est question. Pourquoi ce motif revient-il sans cesse dans votre littérature ?
Je crois que chaque livre que j’écris parle du phénomène de transition que connaît notre monde en ce moment. On passe d’une société du travail à une société du loisir, d’une société de création de biens à une société de création d’objets conceptuels. A mesure que les machines prennent de la place et nous laissent de moins en moins de choses à faire, beaucoup de gens se retrouvent démunis et ont l’impression d’être devenus obsolètes et inutiles. C’est pour combler ce vide de sens qu’ils sombrent dans différentes dépendances. Les addictions sont une réponse à ce vide créé dans nos vies. Et c’est ce sujet qui m’intéresse.
Dans Skagboys, on comprenait que la drogue était une réponse à la violence étatique, sociale et économique de la politique de Thatcher sur le Royaume-Uni. Dans La Vie sexuelle…, vous abordez les thèmes de la poussée du populisme aux Etats-Unis et de la montée de l’extrême droite. Avec le temps, votre fiction se politise-t-elle ?
Je ne pense pas que ma fiction soit plus politique qu’avant. Ce qui m’intéresse, c’est d’analyser comment notre société fonctionne et comment elle est conçue en faveur des puissants, des dominants. L’important pour moi, c’est de parler de la vie des autres, ceux qui se retrouvent précipités dans un système qui n’est pas pensé pour eux.
Vous vivez aux Etats-Unis depuis 2009. Que vous inspire l’élection de Donald Trump ?
Comme pour le Brexit, je trouve ce mouvement autodestructeur, hallucinant ! Mais, soyons honnêtes, il y a une logique à tout cela. Cela fait des années que ça germe, des années que le peuple est dessaisi de ses pouvoirs politiques et économiques. Cette transition de la démocratie vers un régime autoritaire me paraît donc assez inévitable.
Les conséquences du thatchérisme ont inspiré toute une partie de votre œuvre. L’arrivée de Trump vous inspire-t-elle de la même manière ?
Tu sais, du point de vue du citoyen, Trump et le Brexit sont des désastres, mais du point de vue de l’écrivain, c’est formidable. En tant qu’auteur, plus tu as de couillons sur lesquels taper, plus tu es content. C’est très inspirant.
Le processus du Brexit vient d’être amorcé par Theresa May. Qu’en pensez-vous ?
Encore une fois, tout cela était inéluctable. C’est le résultat de longues années de thatchérisme. Dans la continuité de cette politique, on est passé du démantèlement de la gauche et des syndicats à celui des systèmes de santé et d’éducation britanniques, puis les sociaux-démocrates se sont droitisés et aujourd’hui les gens sont sans emploi depuis plusieurs générations. Ce qui arrive est logique et cela va continuer : le repli sur soi va s’intensifier et la montée de l’extrême droite aussi.
C’est très pessimiste…
Non, pas forcément. Car je pense que la résistance va s’organiser. C’est à ce titre que la question de l’Ecosse est primordiale : si elle parvient à regagner son indépendance, et donc à rester dans l’Europe, cela peut être pris comme un signal d’espoir pour toutes les classes populaires britanniques qui vont sûrement finir par se dire : “On a ce bel exemple au nord, qu’est-ce que nos élites font véritablement pour nous ? Voilà ce qui se passe en Ecosse et c’est plutôt bien.” L’espoir, à mon avis, vient de ce scénario-là.
Vous pensez que l’indépendance de l’Ecosse peut amorcer le retour du Royaume-Uni dans l’Europe ?
Oui, je pense que c’est notre meilleure chance. Si l’Ecosse devient indépendante, ce qu’il reste du royaume finira peut-être par se redéfinir comme la société multiculturelle qu’il est. Et on peut espérer que cela se fera sur des fondations plus démocratiques que maintenant et que cela aboutira à son retour au sein de l’Europe.
On sait que Trainspotting est né de vos années de déglingue. Pour écrire La Vie sexuelle des sœurs siamoises vous êtes-vous mis à faire du sport en salle et à compter vos kilocalories ?
Carrément, ouais. (rires) C’est entièrement fondé sur mon expérience personnelle. Il faut se coltiner la réalité pour nourrir la fiction.
Vous êtes en train de me dire que votre vie aujourd’hui, c’est de faire du sport, de manger des graines et de boire du thé vert ?
Ouais, c’est un peu ça. (rires) Bon, depuis que je suis arrivé en France, je n’ai pas vraiment eu le loisir de faire de l’exercice, mais dans l’idée, oui. Et puis, vous savez, la déglingue, on finit par s’en lasser.
A quoi ressemblent vos journées ?
Je n’ai pas vraiment de journée type, cela dépend un peu de ce sur quoi je suis en train de bosser. Quand je suis à la fin de l’un de mes projets, les choses s’emballent. Je deviens un peu fou, je m’enferme toute la journée pour arriver au bout. Mais sinon, je me lève vers 6 h 30 et j’écris pendant environ deux heures et demie. Ensuite, je vais à la salle de boxe pour m’entraîner, puis je rentre pour relire et corriger ce que j’ai fait le matin. Parfois, je vais dans un café pour bosser. L’après-midi, ça dépend. Soit je travaille, soit je vais au ciné ou je regarde des DVD. Et le soir : détente. Je sors dîner. Tranquille. Sans excès.
Vous avez écrit plusieurs scénarios, la moitié de vos romans ont été adaptés sur grand écran… Vous voyez-vous passer derrière la caméra un jour ?
Je l’ai déjà fait une fois, pour un téléfilm, mais c’est une expérience très prenante. Avec l’écriture, dès qu’on en a marre, on ferme son ordi, on sort et on peut respirer. Sur un film, il faut rester sur place, gérer les problèmes de l’équipe, des acteurs, etc. Je n’ai pas vraiment envie de me recoller à ce genre d’exercice. A la limite, ce serait peut-être plus envisageable pour un clip ou un court métrage. Un projet où je n’ai pas le temps de me lasser des membres de l’équipe car c’est quelque chose qui sape vraiment l’énergie de rester autant de temps avec les mêmes personnes et de gérer leurs putain de problèmes…
Mais vous, avec Trainspotting, cela fait vingt ans que vous vous coltinez les mêmes personnages ! Est-ce qu’ils ne vous soûlent jamais ?
Oh si ! Ils finissent par m’emmerder. Mais je crois qu’on finit par se lasser de n’importe quel personnage. Après, sur la douzaine de romans que j’ai écrits, Renton et les gars apparaissent seulement dans trois, ce n’est pas exagéré non plus. Mais c’est vrai qu’avec la sortie de T2, faut que je me méfie, ça va finir par faire saga à la Harry Potter…
La Vie sexuelle des sœurs siamoises (Au Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Ecosse) par Diniz Galhos, 506 pages, 22 €
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