Les deux mangakas Inio Asano, avec sa manière mélancolique et noire, et Naoki Urasawa, dans un style plus urgent et spectaculaire, mettent en scène des combattants et revisitent l’histoire du Japon.
Mal-être, peur de l’avenir ou difficulté à s’intégrer dans la société : dans les mangas du mélancolique Inio Asano (Solanin, Bonne Nuit Punpun), auteur japonais majeur pas encore quadragénaire, les personnages peuvent être des ados, des jeunes employées de bureau ou même des vieillards, ils ont souvent le même regard hagard. Désabusés, ils semblent habités par un sentiment de vide qui les rend lourds et, au moins à leurs yeux, jetables. In extremis, ils trouvent toujours la force de s’accrocher grâce à un moment de joie ou l’attention d’un·e autre.
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Feuilletonistes modernes
Les histoires inédites réunies dans cette anthologie pourraient, pour certaines, donner le bourdon. Elles se maintiennent toujours sur le fil tendu par Asano, expert pour provoquer l’empathie en quelques cases ou insuffler la vie dans une trame dépressive. Parfois, ce qu’il imagine se révèle noir et déstabilisant, comme dans le récit « Tempest », où, afin que le financement des retraites soit définitivement réglé, les personnes âgées sont ostracisées, voire éliminées.
Dead Dead Demon’s Dededededestruction, fascinante série en cours, trouve le bon compromis entre brutalité et douceur, nihilisme et allégresse, avec aussi, pour relever le goût, une pointe de dinguerie. On y suit en effet le quotidien de deux lycéennes, les amies Kadode et Oran, alors que tout Tokyo s’est habitué à la présence d’un vaisseau extraterrestre qui, en apparaissant au-dessus de la ville, a causé près de 100 000 morts.
Aîné d’Asano, Naoki Urasawa sait lui aussi manier des concepts spectaculaires pour que la valeur et l’héroïsme ordinaire de ses personnages se révèlent. Dans le premier tome d’Asadora!, la petite Asa, 12 ans, se démène en plein typhon, bien déterminée à se battre jusqu’au bout.
Feuilletoniste moderne, Urasawa dote ses séries d’une mécanique bien huilée et inimitable. De manière énigmatique, les événements d’époques éloignées – ici, 1959 et 2020 – se répondent les uns aux autres, les coups de théâtre coupent le souffle et intensifient le suspense. Avec lui, on éprouve le plaisir masochiste d’être manipulé comme des badauds devant une démonstration de bonneteau.
Ainsi, la première scène d’Asadora! montre furtivement un monstre géant terroriser les habitants du Tokyo d’aujourd’hui à l’approche des jeux Olympiques. Avant d’en savoir plus, il faudra se laisser guider dans son intrigue de labyrinthe. Le voyage sera mouvementé et, sans doute, à la fois prenant et émouvant.
Inio Asano Anthology (Kana), traduit du japonais par Thibaut Desbief, 306 p., 18 €
Dead Dead Demon’s Dededededestruction, tome 8 d’Inio Asano (Kana), traduit du japonais par Thibaut Desbief, 164 p., 7,45 €
Asadora!, tome 1 de Naoki Urasawa (Kana), traduit du japonais par Thibaut Desbief, 202 p., 7,45 €
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