Il est une légende américaine, à l’instar d’Elvis ou du Bigfoot. Un collectif d’experts donne les clés du Graal absolu : la “duditude”.
Se faire plonger dessus par une artiste peintre nue et adepte de l’art vaginal… Nager la brasse la nuit dans le ciel de Los Angeles… Se risquer dans l’antre d’un producteur de films porno de Malibu et finir héros d’une version X des comédies musicales à la Busby Berkeley… Prendre un bain moussant en écoutant le chant des baleines, pour soudain frôler la castration par furet interposé (et prendre la bestiole pour une marmotte)… Affronter au bowling un danseur fou encore plus pédophile et showman que Michael Jackson…
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Ou encore se faire proposer une pipe à mille dollars par une bimbo fan d’Elvis, traquer par un trio de krautrockeurs coupeurs d’orteils et assommer en un seul film aussi souvent que Philip Marlowe dans toute l’oeuvre de Raymond Chandler, le tout parce qu’un malotru a pissé sur la carpette défraîchie qui « harmonisait » votre gourbi… Surtout, accueillir coups sur le crâne et coups de bol avec la même équanimité enfumée, et donc être le type le plus cool du monde – soit le Dude, alias « His Dudeness » ou « El Duderino », héros du film culte ultime, The Big Lebowski, et aujourd’hui objet d’un ouvrage collectif dont la louable ambition est de permettre à tout un chacun de réveiller le Lebowski qui sommeille en lui.
En quelques leçons faciles – comment « dudifier » votre appart ou votre voiture, maîtriser les hilarantes subtilités du « dudespeak » (« Lots of ins and outs, man, lots of what have you’s… »), reconstituer sur une mixtape la BO intégrale du film et atteindre un degré optimal de « duditude » -, les organisateurs du Lebowski Fest (fiesta itinérante célébrant dans les vapeurs de White Russian toutes choses dudesques) rendent hommage à un loser céleste qui, ayant zappé les années Reagan, l’ère yuppie et le crépuscule grunge, vit encore dans la dernière aube qu’ait connue l’Amérique, celle de l’Eté de l’amour.
Miraculeusement épargné par les poisons de l’amertume et de la nostalgie, il écoute Creedence comme si c’était le groupe à la mode de 1991, pour, ayant suivi à la lettre le précepte du pape psyché Timothy Leary (« Turn on, tune in, drop out »), rester branché sur radio Brautigan dans la Californie de Bret Easton Ellis.
Avec son pote Walter (boule de nerfs militariste inspirée par le réalisateur de Conan le barbare, John Milius), le Dude accède ici à l’immortalité – à qui souhaiterait poursuivre la lecture de I’m a Lebowski, You’re a Lebowski dans un registre plus littéraire, on rappellera que Doc Sportello, le détective privé du dernier Pynchon (Vice caché), est le frère jumeau du Dude, preuve supplémentaire qu’à l’instar d’Elvis ou du Bigfoot, le traîne-savates zen des frères Coen trône désormais au panthéon des monuments américains.
I’m a Lebowski, You’re a Lebowski de Bill Green, Scott Shuffitt, Will Russell, Ben Peskoe (Canongate), en anglais, 238 pages, env.18 €
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