Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le vêtement sans jamais oser le demander : c’est le pari réussi du Bouquin de la mode, cette encyclopédie-anthologie écrite et coordonnée par Olivier Saillard. A offrir et à lire à Noël.
Il y a un paradoxe au sujet du vêtement. En parler revient à “parler chiffons” (c’est souvent dit avec mépris ou ironie) ; montrer un intérêt au style, voire à la mode, c’est passer pour la personne la plus superficielle au monde.
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Et pourtant, nous nous habillons tous les jours. Quotidiennement, nous choisissons ce que nous allons porter ; et consciemment ou inconsciemment, nous faisons le choix de nous mettre en scène de telle ou telle manière face aux autres.
Quant à ces choix, qu’on appelle “nôtres”, relèvent-ils du simple instinct, ou davantage qu’on ne le croit, d’un diktat sociétal véhiculé par les modes ?
En somme, la mode s’inscrit sans doute sur nos corps plus qu’on ne le croit. On la suit sans le savoir. Elle nous influence et nous forme, souvent nous formate.
Et il serait peut-être bon de s’y intéresser un peu plus, de la connaître un peu mieux, sans avoir peur d’être accusé de frivolité – d’autant qu’être frivole n’est pas si mal, car comme dirait Cocteau, la frivolité est le meilleur antidote contre l’angoisse.
Le travail le plus complet jamais accompli sur le sujet de mode
Pour tout cela, Le Bouquin de la mode, dirigé par Olivier Saillard, seul historien de la mode à être devenu médiatique, ex-directeur du Palais Galliera, metteur en scène de magnifiques performances autour du vêtement et de ses pouvoirs d’incarnation et de désincarnation (souvent avec Tilda Swinton), est une bible.
A la fois encyclopédie et anthologie, c’est le travail le plus complet jamais accompli sur le sujet de mode, sous toutes ses coutures, son usage en littérature, en bande dessinée, ou encore de sa représentation à travers les photos de famille ; de la naissance de la figure du couturier aux vêtements de voyage, ou de la dictature de l’ourlet, ou encore au territoire de la marge et de l’excentricité.
De l’histoire du vêtement au choix des designers
Le livre s’ouvre même sur une histoire du vêtement avant la mode, nous entraîne dans l’univers des femmes travaillant dans les maisons de couture, ravive les figures de couturiers oubliés, dont Maggy Rouff, totalement disparue des radars de l’histoire de la mode, que Saillard et ses collaborateurs nous font redécouvrir, et interroge la façon dont les designers ont choisi de transformer ou non le corps des femmes, ou sur l’évolution de la figure du mannequin.
On y trouve même un inventaire des regards portés sur la mode, où l’on peut lire des phrases telles que : “Un penseur, Pascal, a cependant joué un rôle déterminant dans l’émergence d’une nouvelle vision du vêtement. Il a préparé, en amont, dans ses brouillons à l’Apologie de la religion chrétienne publiés sous le titre de Pensées à partir de 1670, ce que nous appellerons une révolution ontologique du vêtement. Pascal prend ses distances à l’égard de Montaigne, auquel il reproche de condamner le vêtement sans avoir pris la peine de comprendre ce qui était à l’origine de cet engouement pour les habits.”
La question philosophique à l’œuvre chez les penseurs, comme chez tous les autres dès qu’il s’agit de vêtement, est aussi courte qu’un proverbe : l’habit fait-il le moine ? Faut-il s’en méfier comme d’un mensonge, une tromperie manipulatrice ? “Cet habit, c’est une force”, écrit Pascal au sujet d’un homme “vêtu de brocatelle”.
L’apologie du vêtement dans les contes de fées
Et un outil magique, une marque de toute puissance, dans les contes de fées (lire l’admirable chapitre qui leur est consacré), du Petit Chaperon rouge (faut-il croire les apparences ?) au Chat botté (est-on plus puissant, plus aimable, bien chaussé ?).
Dans ces contes, le vêtement métamorphose, pour le meilleur, comme pour le pire (le loup qui revêt les vêtements de la grand-mère pour mieux piéger, et dévorer, la petite fille).
Quant aux robes couleurs de lune, de temps et de soleil de Peau d’Ane, que la jeune fille commande à son père pour gagner du temps avant de lui céder, elles sont aussi philtres d’amour : le jeune prince tombe amoureux de Peau d’Ane quand il l’aperçoit, à la dérobée, vêtue en secret de sa robe de soleil.
Il tombe amoureux de son éclat, de sa richesse, de sa puissance : le conte entier fait l’apologie du vêtement comme déclencheur du sentiment amoureux.
Les vraies questions face au marché qui s’emballe
Mais qu’en est-il aujourd’hui, face à l’urgence climatique ? Dans le chapitre sur les années 2010, Olivier Saillard, en plus d’un magnifique portrait d’Azzedine Alaïa, pose les vraies questions face à un marché qui s’est emballé : les designers qui valsent à la tête des grandes maisons, les vêtements portés trois fois et devenus déchets, polluant davantage la planète, le bilan carbone de la mode, tout cela devrait conduire au triomphe du vintage contre la fast fashion.
“Les années 2010, en se fermant, posent aux années 2020 des questions essentielles qui ne sont plus de style. (…) A toutes les décennies abusives et d’excès, la mode par goût des oppositions et des contraires a répondu ‘less is more’. Plus que jamais, ce vœu s’impose.”
Le Bouquin de la mode (Robert Laffont/Bouquins), 1 280 p., 32 €
A retrouver sur les InrocksStore !
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