Dans son enquête “Réactions françaises, Enquête sur l’extrême droite littéraire”, centrée sur les ambivalences politiques de Michel Houellebecq, Sylvain Tesson et Yann Moix, François Krug dessine un paysage littéraire français où s’agitent depuis les années 1990 des complices d’écriture proches de la tentation néo-fasciste.
Au-delà du goût littéraire, mais au plus près du dégoût politique, l’enquête de François Krug sur un paysage littéraire français dominé par trois figures populaires, Michel Houellebecq, Yann Moix et Sylvain Tesson, a valeur de double symptôme. De la fascination pour les franges radicales de la droite par ces écrivains devenus des acteurs du débat public ; de la réactivation, à travers eux, d’une vieille tradition littéraire, dont l’essayiste Vincent Berthelier rappelait l’épopée dans son essai paru l’an dernier Le Style réactionnaire, de Maurras à Houellebecq (éditions Amsterdam). Houellebecq, Moix et Tesson ont en effet en commun d’avoir “fréquenté l’extrême droite dès leurs débuts, puis au long de leur carrière, par goût de la provocation, par curiosité intellectuelle, par fascination esthétique et parfois, par sympathie idéologique”. Oscillant entre toutes ces raisons déraisonnables, sans qu’on puisse être toujours certain de ce qui relève de la pure provocation ou de la conviction chevillée au corps, l’enquête met au jour des affinités électives entre le goût d’écrire et le dégoût des valeurs progressistes.
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Si François Krug ne dévoile rien de vraiment très neuf, si l’attraction du trio pour les idées les plus crapuleuses était déjà en partie documentée, il reste que son enquête fouillée restitue un parfum nauséeux enveloppant les arrière-cours de l’édition française. Le journaliste rappelle les faits d’armes des trois romanciers dans leurs complicités plus ou moins avouées et leurs compagnonnages affectifs avec les sinistres mouvements de pensée de l’extrême droite française (l’Action française et Valeurs actuelles pour Houellebecq depuis quelques années, Radio Courtoisie, les anciens de l’OAS et les figures de la Nouvelle Droite pour Tesson, l’antisémitisme de jeunesse chez Moix…).
Une accumulation d’histoires rocambolesques
Mais, presque plus encore que leurs facéties confondantes d’ânerie proto-fasciste, ce sont tous les “personnages secondaires” – journalistes, éditeurs, écrivains de second rang – de cette farce tragi-comique qui glacent le sang du lecteur. Des personnages animés par le courant de l’anarchisme de droite dont la littérature française a souvent fait son miel depuis les Hussards. Plongeant dans ce bain néo-hussard, l’enquête resterait presque anodine si Krug ne dévoilait dans l’accumulation de ses histoires rocambolesques sur les trois romanciers une tentation ultra-droitière traversant le monde littéraire.
On aurait pu se contenter de rire de manière un peu affligée des ressorts malsains cachés dans des revues de prestige, comme L’Idiot international de Jean-Edern Hallier, laboratoire des “rouges-bruns” dans les années 1980 où ont débuté les jeunes Houllebecq et Marc-Édouard Nabe. Ou comme Rive droite, revue animée au début des années 1990 par de jeunes esthètes (Patrick Besson, Éric Neuhoff, Philippe Muray, Édouard Limonov ou encore Marc-Édouard Nabe) qui dès le premier numéro publie un texte inédit de Lucien Rebatet. Pour rire, bien sûr. Par rejet de la bien-pensance progressiste, déjà, à cette époque. Comme aussi, quelques années plus tard, le fanzine Immédiatement, animée par de jeunes hussards fascinés par le royalisme et Charles Maurras. Au-delà de Houellebecq, Moix et Tesson, ce sont d’autres écrivains, souvent proches d’eux, qui incarnent une tentation pour le coup ouvertement fasciste : de Renaud Camus à Richard Millet, de Marc-Édouard Nabe aux nombreux sous-écrivains en herbe se prenant pour les héritiers de Céline et Maurras, le paysage littéraire hexagonal ici dessiné a la couleur sombre de la réaction. À rebours, tel son versant inversé, de la richesse éveillée d’une grande part du roman contemporain qu’analysait récemment François Dosse dans son essai Les Vérités du roman, une histoire du temps présent.
Sans se réduire à l’extrême droite, mais pervers dans leur façon de jouer, l’air de rien, avec des idées immondes, les trois auteurs explorés par Krug traduisent à leur manière la résonance d’un courant idéologique pesant et pressant, dont Daniel Lindenberg avait déjà perçu les élans en 2002 dans son essai Le Rappel à l’ordre, enquête sur les nouveaux réactionnaires. Vingt ans plus tard, la vigilance reste de mise.
Réactions françaises, Enquête sur l’extrême droite littéraire de François Krug (Seuil) 224 p., 20€. En librairie.
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