2065. Suite à un bug, les Terriens vivent suspendus dans des nacelles. Un roman SF d’une audace formelle et conceptuelle jubilatoire.
La couverture du nouveau livre de Pierre Alferi présente, sous son titre Hors sol, le dessin discret et élégant, au crayon, d’une nacelle. Cette forme d’habitation est devenue le refuge des Terriens après une catastrophe écologique survenue vers 2065. Les rescapés survivent ainsi, suspendus en orbite à 13 kilomètres de la Terre.
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Le premier chapitre du roman est brillant, qui plonge le lecteur dans ce futur comme s’il était inéluctable. Alferi aurait pu dérouler le scénario catastrophe d’événements à venir, une fin du monde plausible face à la destruction en cours de notre planète.
Plus audacieux et original, dans le fond comme dans la forme, l’auteur préfère imaginer un accident informatique, advenu un beau jour d’août 2018 dans un appartement du XVIIIe arrondissement parisien. Un oiseau se pose sur un clavier AZERTY, compose une suite de signes et ouvre par accident une sorte de sésame dans l’espace-temps.
L’avenir se révèle ainsi sous la forme de fichiers issus des années 2063-2065 qu’analyse, sidéré, le propriétaire de l’ordinateur. Une archive du futur, arrivée entre ses mains par mégarde, l’auteur rappelant au passage une vérité scientifique : les plus grandes découvertes naissent parfois du hasard.
Haïkus, lettres, chansons, échanges de messages
On entre dès lors dans cet univers par des biais multiples : haïkus, lettres, chansons, échanges de messages, etc., qui décrivent les us et coutumes des survivants. Chaque nacelle est soudée par un centre d’intérêt qui unit ses habitants :
“Nacelle 139. Six amateurs de lucha libre (catch mexicain – ndlr) s’entraînent” ; “Nacelle 356. Des cinéphiles s’emploient à identifier les figurants de tous les longs métrages du XXe siècle pour construire une base de données”.
Derrière l’illusion d’une forme d’utopie libertaire, on découvre peu à peu l’absurdité de ces existences sans but, régies par le consumérisme, l’hyperconnexion et les phantasmes des “aristechnocrates”. Une sorte de chute en avant de l’humanité, entre solitude et sentiment du sublime.
Si Pierre Alferi était connu jusqu’ici comme poète, essayiste talentueux et théoricien des nouvelles formes littéraires, notamment avec Olivier Cadiot (Revue de littérature générale), il excelle ici dans un tout autre domaine, la littérature d’anticipation, qu’il pousse à son paroxysme, pour en faire l’espace littéraire de l’invention et de l’imagination sans limite. De la science-fiction littéraire de haut vol, comme si Ray Bradbury et Philip K. Dick s’étaient perdus dans un mauvais rêve à la Jérôme Bosch. Yann Perreau
Hors sol (P.O.L), 368 p., 21 €
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