Adolf Hitler est devenu un personnage romanesque à succès. Il est même aujourd’hui le héros d’un best-seller en Allemagne. Démythification salutaire ou banalisation inquiétante de l’histoire ?
La petite moustache rectangulaire fait de nouveau fureur. Chez certains hipsters qui l’arborent en toute décontraction, mais aussi en librairie. On ne compte plus les livres qui affichent le visage d’Adolf Hitler en couverture. Des livres d’histoire bien sûr – un des derniers en date, Adolf Hitler – La séduction du diable (Albin Michel) du Britannique Laurence Rees – mais aussi des romans.
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Peut-être cette vogue littéraire est-elle à mettre sur le compte du 80e anniversaire de l’arrivée au pouvoir du dictateur. Mais elle semble plus sûrement inspirée par l’envie de faire un coup avec un sujet sulfureux. Comme si le simple fait de s’emparer de la figure d’Hitler, avec toute la terrifiante charge symbolique qu’elle charrie, était gage d’audace. Ainsi, sous le pseudonyme de François Saintonge, un écrivain français signait récemment Dolfi et Marilyn (Grasset), fable faiblarde et foireuse autour d’un clone d’Hitler, surnommé Dolfi, et d’un possible retour du nazisme en 2060.
Hitler découvre YouTube
Mais quitte à vouloir affoler le lecteur – et les ventes par la même occasion – en manipulant l’icône du mal, autant y aller à fond. Cela s’avère plus payant. L’Allemand Timur Vermes l’a bien compris. Imprimé à trois cent soixante mille exemplaires, son livre, Er ist wieder da (« Il est de retour »), est un best-seller outre-Rhin. Déjà traduit dans une quinzaine de langues, il devrait sortir en France début 2014. Là aussi, l’auteur imagine le come-back du Führer, qui se réveille un beau matin d’août 2011 au milieu d’un terrain vague. Dans cette grosse pochade à l’humour visiblement aussi digeste qu’une currywurst, Hitler découvre YouTube, des « pantalons de coton bleu qu’on appelle des ‘dchjins' » et devient la star d’une émission de téléréalité. Comble du raffinement ou du mauvais goût, le roman est vendu 19,33 €, clin d’oeil so lustig à l’année où Hitler devint chancelier. Ach ! Große rigolade !
Évidemment, le livre suscite la polémique. Timur Vermes se défend, arguant qu’il est trop facile de ne voir en Hitler qu’un monstre, et explique qu’il a voulu montrer comment fonctionnait l’homme (mieux vaut lire dans ce cas l’essai de référence signé Ian Kershaw, Hitler – Essai sur le charisme en politique, ou la monumentale bio qu’il lui a consacrée). Les détracteurs de Vermes, eux, l’accusent de banaliser le mal.
Une banalisation inquiétante
Ce qui est certain, c’est qu’Adolf Hitler apparaît aujourd’hui de plus en plus comme un symbole « déconnecté d’une réalité historique de plus en plus méconnue », pour reprendre les termes d’Antoine Vitkine, auteur de Mein Kampf, histoire d’un livre, essai qui vient de paraître en poche (Flammarion, Champs histoire). Vitkine retrace la fabrication de la « Bible nazie » et analyse sa postérité.
Devenu « un objet plus spectaculaire que proprement politique », Mein Kampf, interdit en Allemagne mais autorisé en France s’il est accompagné d’une introduction mettant en garde le lecteur, continue à se vendre à travers le monde. C’est même un best-seller en Turquie et en Inde. Sur Amazon, des lecteurs comparent Hitler à Skeletor, un « méchant » de dessin animé. Décontextualisé, le nom d’Adolf Hitler n’est plus qu’une coquille vidée de toute substance historique. À la fois affligeant et inquiétant.
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