Avec ce roman-monstre hypersexuel, le Hongrois Péter Nádas écrit une histoire souterraine et pulsionnelle du XXe siècle, de la barbarie nazie à la chute du mur de Berlin. Titanesque.
On pénètre dans ce livre noir et épais comme dans une forêt de cauchemar, sombre et labyrinthique. On avance à tâtons, on s’égare dans cet entrelacs de récits à la chronologie bousculée, incessant va-et-vient entre des époques différentes, des personnages apparemment sans rapport les uns avec les autres. Histoires parallèles s’ouvre sur la découverte d’un cadavre dans un parc de Berlin. Nous sommes en 1989, au lendemain de la chute du Mur. L’enquête commence à peine que l’histoire se téléporte en 1961 à Budapest, avant d’opérer un autre saut temporel pour atterrir au coeur de l’horreur de la Seconde Guerre mondiale : l’évacuation d’un camp de concentration, les fosses où sont jetés les derniers prisonniers, l’odeur de chair brûlée qui imprègne l’air.
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Véritable matrice de ce roman démentiel, la barbarie nazie imprègne tout le texte, fil rouge sang au milieu de ce dédale de mots et de morts. Avec Histoires parallèles, troisième volet de la trilogie formée avec La Fin d’un roman de famille et Le Livre des mémoires, l’écrivain hongrois Péter Nádas fouille les entrailles du XXe siècle et poursuit son exploration des ressorts souterrains de l’Histoire : les pulsions, les désirs.
Le sexe, omniprésent, s’immisce dans chaque page du livre, entre chaque ligne. C’est cet ancien gardien de camp qui se masturbe fiévreusement devant un feu de cheminée ; le jeune Kristóf qui s’aventure sur l’île Marguerite, à Budapest, lieu de rendez-vous homosexuel, et s’avance au milieu des bites brandies, “moiteur torride, veines gonflées, frein distendu, retroussis du prépuce, couronne du gland” ; c’est encore la belle Gyöngyvér qui se donne entièrement à son amant ; Erna qui se remémore cette scène troublante où elle a donné le sein à la nourrice hollandaise Geerte.
Et puis, il y a cette relation fraternelle, presque incestueuse, entre ces trois agents de la presse d’Etat hongroise : Agóst, fils d’Erna, héritière juive, et du professeur Lehr, nationaliste qui a collaboré avec les Allemands et n’a rien fait pour empêcher la déportation de sa propre fille ; Hans, qui a grandi dans un internat où les nazis pratiquaient des expériences génétiques ; André, ancien agent secret au service de l’Angleterre. Entre eux, les rapports sont aussi mystérieusement physiques. Comme si, aux convulsions du siècle répondaient celles des corps.
Dans une langue d’une éblouissante sensualité, Péter Nádas montre de quelle manière l’Histoire s’écrit dans la chair, dans les plaies et les stigmates des mutilés de guerre, les balafres d’anciens soldats, les tatouages au poignet des anciens déportés, mais aussi dans les tréfonds de l’inconscient collectif. Les époques se répondent dans un jeu de dédoublements fascinant, une architecture complexe et foisonnante émaillée de motifs qui se font écho : des slips étonnamment minuscules, un tableau de Leistikow, la schizophrénie de certains personnages. De ces ténèbres émerge une oeuvre monstrueusement virtuose.
Histoires parallèles (Plon), traduit du hongrois par Marc Martin, avec la collaboration de Sophie Aude, 1148 pages, 39 €
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