Dans son nouveau recueil de nouvelles, l’Américaine Lydia Davis raconte de cent façons la condition humaine.
Lydia Davis est un peu la Joyce Carol Oates du format court, une légende vivante qui publie beaucoup et ne déçoit jamais. Elle partage son temps entre l’écriture et la traduction du français vers l’anglais (Proust, Flaubert, Simenon…) et a reçu en 2013 le prestigieux prix international Man Booker. Une grande dame de lettres donc, qui passe la vie au peigne fin de sa littérature.
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Il y a pas loin de cent histoires courtes dans ce recueil d’un peu plus de trois cents pages. Certaines font quelques lignes, d’autres quatre ou cinq pages, certaines sont comme des haïkus, d’autres s’autorisent un développement de quelques centaines de mots pour faire le tour d’un événement gigantesque ou minimal.
Rampes de lancement
Toujours, Lydia Davis s’ausculte et raconte dans sa langue simple des instants de vie triviaux, qui ouvrent vers l’infini. En consignant ainsi l’infinitésimal, en entretenant constamment cette étrange oscillation entre l’observation appliquée du monde autour et le perpétuel retour vers elle-même, Lydia Davis fait œuvre de littérature.
Ses nouvelles n’ont pas la virtuosité uppercut de Raymond Carver ni l’immédiat attrait de Cioran et ses aphorismes définitifs. Elles sont plutôt des amorces, des synecdoques, des rampes de lancement, qui se déploient dans la tête du lecteur. Quelques pages d’un compte rendu minutieux de l’activité (morne) des vaches dans un pré, et la condition humaine apparaît ; le récit très factuel de la vie d’un chat domestique, et la philosophie surgit.
Variations sur Flaubert
Dans “Nécros locales”, une accumulation de brèves notices nécrologiques, c’est le cœur palpitant du projet littéraire qui est exposé : réduire la vie humaine à un petit rien, pour la redéployer comme un éventail. Une poignée de variations sur Flaubert, où l’on imagine la Lydia Davis traductrice ravie de pouvoir prendre enfin ses aises avec le texte original pour en faire sa propre matière, et quelques lettres (“à un directeur d’hôtel”, “à la compagnie des bonbons à la menthe”, “à un directeur de marketing”) où une narratrice pointilleuse et passablement antipathique s’égare en digressions hilarantes, complètent ce recueil intrigant et singulier. Clémentine Goldszal
Histoire réversible (Christian Bourgois), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Rabinovitch, 326 pages, 24 €
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