L’Espagnol Sergio del Molino signe un texte jubilatoire sur ce qui détermine notre apparence et constitue notre surface de contact avec le monde : notre épiderme
Il aurait pu écrire un texte totalement autobiographique et larmoyant, car Sergio del Molino est atteint depuis des années d’un psoriasis, une maladie de la peau qui lui a pourri la vie. Mais ses souvenirs et sensations intimes forment un point central à partir duquel il attrape toutes sortes d’éléments qui gravitent autour : anecdotes historiques, références littéraires, réflexions philosophiques ou politiques.
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Joseph Staline ou Vladimir Nabokov, ils sont nombreux à avoir souffert de psoriasis, une pathologie qui provoque d’affreuses démangeaisons et couvre les corps de plaques rouges. Questions de l’auteur : Staline aurait-il été aussi terriblement dictatorial, et Nabokov aurait-il écrit Lolita, s’ils n’avaient pas été frappés de ce fléau ? Del Molino s’observe lui-même, retrouvant ses souvenirs d’adolescent solitaire dans l’Espagne des années 1990, se décrivant comme un adulte rugueux.
Écriture en rhizomes
Ainsi selon lui, une maladie de la peau, au premier abord superficielle, peut être un élément déterminant dans la construction d’un individu. Car notre épiderme est à la fois ce que nous montrons au monde et son point de contact avec lui. À des travers d’exemples historiques, l’auteur s’intéresse au racisme, se demandant pourquoi la couleur de peau a acquis une telle importance au cours des siècles. Son questionnement le pousse à regarder ce que nos sociétés modernes font de la fragilité du malade, censé se battre et lutter. Et c’est bien parce qu’elle participe à la construction de la personnalité qu’on ne se défait pas d’une maladie chronique, même si la médecine peut en atténuer les effets : “D’une certaine façon, que je ne m’explique pas, je reste ce lépreux avec une cloche autour du cou qui n’ose pas trop s’éloigner du lazaret”.
La forme du livre, son rythme et sa tonalité, sont remarquables – l’auteur madrilène, pour la première fois traduit en français, sait faire preuve d’humour et de distance. Comme d’autres romanciers espagnols aujourd’hui, de Manuel Vilas à Munir Hachemi, il travaille un genre hybride particulièrement intéressant. Le livre ici progresse en rhizomes, mêlant par associations d’idées philosophie, histoire, autobiographie et étude littéraire. Ce n’est pas gratuit, c’est une volonté d’appréhender le monde comme un ensemble, le collectif comme une myriade d’histoires privées et le travail d’écrivain comme une brique, parmi d’autres, posée dans une histoire littéraire en construction.
Histoire de ma peau, de Sergio del Molino. Traduit de l’espagnol par Eric Reyes Roher (Sous-sol), 320 pages, 20 €. En librairie.
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