L’écrivain vient de remporter le prix Goncourt 2020 pour son roman L’Anomalie. Mais que vaut vraiment le nouveau livre de l’oulipien Hervé Le Tellier ?
Si l’on devait faire une présentation accélérée d’Hervé Le Tellier, qui publie régulièrement, discrètement mais fermement depuis 1992, on pourrait emprunter la présentation qu’il fait lui-même de l’un de ses personnages, l’écrivain Victor Miesel, auteur d’un roman au succès fulgurant (mais posthume) intitulé L’Anomalie.
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“La gloire tarde, d’accord, mais peut-être un jour le public… Nul n’est à l’abri du succès. De toute façon, Miesel s’en moque. Des échecs qui ont raté, son dernier roman, s’était retrouvé dans les premières listes du Médicis, du Goncourt et du Renaudot, pour disparaître quinze jours plus tard des deuxièmes sélections.”
Sauf qu’avec L’Anomalie, ce récent transfuge des éditions JC Lattès aux éditions Gallimard est toujours bien présent dans les deuxièmes listes des prix Médicis, Renaudot, Décembre, mais surtout Goncourt, dont on l’annonce déjà favori.
Avouons que, dès le début, la tête nous tourne
A part faire rêver les écrivain·es à la Miesel, en leur prouvant que tout est possible dans la vie, même rester sur les secondes listes, L’Anomalie, c’est quoi exactement ? Un roman d’aventures ésotériques à la Dan Brown qui viserait l’adaptation Netflix par les sœurs Wachowski. Sans rire. Avouons que, dès le début, la tête nous tourne : on passe de l’Inde aux States, de la France au Nigeria, de telle problématique géopolitique à telle autre question politique, sur fond d’incident qui comprend un avion et une série de personnages qui sembleraient avoir tous pris ce vol.
L’ennui gagne – leurs turpitudes amoureuses ou autres nous lassent – d’autant qu’il faudra attendre jusqu’à la page 133 pour avoir enfin le fin mot de toute cette agitation : un avion Air France atterrissant à JFK en juin 2021, s’avère être la copie conforme, pilotes, personnel et voyageur·euses compris, d’un autre vol Air France ayant atterri en mars.
Allez hop, comme dans toute bonne série (sic), le Pentagone – ou est-ce le FBI ou la Nasa ? On s’y perd un peu… – rassemble un pool d’expert·es (physicien·nes, mathématicien·nes et on en passe) pour éclaircir ce mystère des doubles – photocopie cosmique ? Multiverse ? –, pendant qu’on réunit aussi les grands dignitaires de toutes les religions pour interroger le concept de l’âme – car si l’on est multiple, a-t-on une seule âme ?
Une maîtrise du petit truc des auteur·trices de blockbusters
A partir de là, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier devient souvent drôle tout en tentant de se doubler de philosophie, mais ne se départ pas d’une impression de déjà-vu. Par exemple, à la question que pose une scientifique : “Ne serions-nous que des programmes, et dès lors la réalité n’existerait pas ?”, on pense immédiatement à Matrix. C’est là toute la limite d’un livre qui semble lui-même programmé par des algorithmes, mixant tous les ingrédients aimés par le public pour aboutir à une recette sûre.
Maîtrisant, de plus, le petit truc des auteur·trices de blockbusters – finir un chapitre sur une question, un mystère, qui vous harponne –, Le Tellier signe un divertissement virtuosement distrayant. Au fond, on se demande si l’on n’aurait pas préféré lire son double, L’Anomalie de Miesel, catalogue d’aphorismes cinglants : “Personne ne vit assez longtemps pour savoir à quel point personne ne s’intéresse vraiment à personne.” Le Goncourt à Victor Miesel !
L’Anomalie (Gallimard) 332 p., 20 €
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