Un beau roman sur ce phénomène qui bouleversa toute une génération à la fin des nineties : la téléréalité.
Dans les années 1990, une adolescente d’une banlieue lambda se rêve en Cendrillon. Johanna veut être enviée, désirée, aimée. Toute la famille passe sa vie devant la télé, véritable fée du logis. Son fantasme va devenir réalité quand elle est sélectionnée pour le casting de Graine de star.
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Troisième roman de Guillaume Sire, Réelle est d’abord un livre passionnant sur ce phénomène majeur de la fin du XXe siècle : l’invention de la téléréalité. C’est à travers le petit écran que Johanna, mal dans sa peau, forge ses premiers rêves.
Un poster d’Ophélie Winter au-dessus de son lit
Le poste est constamment allumé ; le soir, elle s’endort au son des mitraillettes des films de guerre provenant de la chambre de ses parents, pour ne pas écouter “des insomniaques parler de sauter par la fenêtre”.
C’est donc le réel, le banal, le quotidien que décrit Guillaume Sire – mais un réel inversé, où ce qui semble vrai ne l’est que parce que cela ressemble à ce que l’on voit à la télé. Une hyperréalité, aurait dit Baudrillard dont on perçoit que l’auteur, enseignant en sociologie de la communication, a compris toutes les subtilités.
L’ado affiche un poster d’Ophélie Winter au-dessus de son lit, elle se prépare à son casting en l’imitant. A la récré, elle retrouve Antoine dans les toilettes, qui la baise vulgairement, sans même l’embrasser. Parce qu’il est beau, et que tant de filles aimeraient être à sa place.
Beau comme du Pialat
Pourquoi aime-t-on Johanna, si passive, banale, naïve ? Elle n’a ni l’intelligence ni l’audace d’une “héroïne”, mais la sensibilité, la finesse d’une jeune fille qui veut croire en ses rêves. Et ces rêves, édulcorés, irréels, absurdes, sont plus beaux, plus vrais que sa réalité. Aussi, quand la téléréalité débarque par le biais du Loft, elle découvre avec fascination sa propre vie sous ses yeux, à l’écran. “Maintenant, les films, ça ne suffit plus, explique-t-elle à ses parents. Les gens veulent voir la vérité.”
Guillaume Sire écrit des dialogues bruts, tendres et drôles, criants de vérité justement. Un style limpide, résumé en quelques mots parfaits : “Elle eut la certitude alors de finir sa vie seule et triste avec le même ventre que sa mère, d’où on l’avait tirée dix‑sept ans plus tôt comme une maladie.” Ce roman est beau comme du Pialat, avec une héroïne à la Sandrine Bonnaire dans A nos amours, jeune fille certes paumée mais tragiquement, magnifiquement “réelle”.
Réelle (Editions de l’Observatoire), 320 p., 20 €
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