En s’appropriant quatre grands textes de Casanova, Edgar Poe, Henry James et Stevenson, Guido Crepax laisse libre cours à ses obsessions dans un entrelacs de désirs.
Crepax dessine les plus belles fesses de l’histoire de la bande dessinée, et je m’y connais en bande dessinée”, écrivait Wolinski à propos de Guido Crepax. La courte et touchante préface à ce recueil d’adaptations littéraires (Stevenson, mais aussi Henry James, Edgar Poe et Casanova) rappelle opportunément que c’est Wolinski qui a fait connaître Crepax dans Charlie Mensuel à partir de 1970, et que l’accueil fut alors loin d’être unanime.
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Aujourd’hui célébré comme un des maîtres absolus de la bande dessinée érotique, Crepax a longtemps gêné avec son dessin anguleux d’architecte, ses femmes hiératiques et longilignes, et sa peinture d’un sexe cérébral, fétichiste, organisé, à l’opposé des bourgeoises libérées de Manara.
Tout au long de sa carrière, Crepax a trouvé dans la littérature classique le matériau idéal pour mettre en scène des rapports envisagés comme le prolongement intime du pouvoir d’une aristocratie décadente, ayant épuisé tous les raffinements.
Chez Crepax, il n’y a guère de plaisir, guère de vigueur, aucune spontanéité, et les mâles sont aussi repoussants que les femmes sont belles. A l’exception d’Histoire de ma vie, de Casanova, les textes adaptés ici n’ont pas a priori un contenu érotique.
Crepax imagine des turpitudes cachées
En revanche, tous ont à l’origine pour cadre la haute société corsetée de la fin du XIXe siècle, et, chaque fois, les planches de l’intrigue sont suffisamment disjointes pour imaginer facilement les turpitudes qui pourraient s’y glisser. Dans La Lettre volée, Edgar Poe restait évasif sur la teneur du compromettant billet : naturellement, Crepax suppose qu’il s’agit d’une correspondance galante et licencieuse, et ne se prive pas de la détailler.
Au premier abord une histoire de fantôme, Le Tour d’écrou d’Henry James instaurait un climat de doute et de mystère en jouant sur l’incertitude des perceptions et l’ambiguïté des personnages. Plus virtuose que jamais, Crepax s’empare du ressort implicitement sexuel de la nouvelle pour la pousser vers un entrelacs obscur de fantasmes, de désirs et de manipulation, dont on ne retient que les regards obsédants et les corps tendus par l’impatience.
Plus fidèle, Dr. Jekyll et Mr. Hyde ne nécessitait aucune extrapolation, tout juste de suivre Mr. Hyde là où Stevenson ne pouvait aller. En créant Mr. Hyde, le respectable Dr. Jekyll espérait confiner dans ce double toutes ses pulsions qui contrevenaient aux exigences de la morale victorienne.
Ce ne pouvait être qu’un pervers sans joie, et Crepax en fait un avorton lubrique, obsédé par les lavements, incarnation misérable d’une société à bout de souffle. Chez Crepax, l’érotisme ne sert pas à faire la révolution, comme chez Pichard, mais à montrer pourquoi elle est nécessaire. Jean-Baptiste Dupin
Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Guido Crepax (Actes Sud BD), traduit de l’italien par Delphine Gachet, 208 pages, 26,80 €
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