Il suffit d’entrer dans une librairie pour entendre les libraires se plaindre : peu de livres se vendent en ce moment, et notamment pas les prix littéraires, décevants, à l’instar du Goncourt “Vivre vite”, de Brigitte Giraud.
Un mois après avoir reçu le prix Goncourt, le 3 novembre, Vivre vite plafonne toujours à un peu moins de 100 000 exemplaires écoulés (chiffres GFK). Alors que Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, son concurrent dans la dernière shortlist du prix, éliminé par les juré·es certainement parce qu’il avait reçu, juste avant, le grand prix du roman de l’Académie française, frôle les 200 000 exemplaires.
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Alors, le Giraud, un mauvais choix ? On a déjà dit à quel point on trouvait le livre conformiste, le procédé (consacrer un chapitre par “hypothèse” ayant causé il y a vingt ans la mort de son compagnon) d’une simplicité ennuyeuse, le style plat. Mais on se demande aussi si ce n’est pas le jury lui-même qui finit par faire de l’ombre à son propre prix : le scandale Camille Laurens, l’année dernière, qui avait dézingué La Carte postale d’Anne Berest dans la presse, livre alors en compétition sur la liste Goncourt avec celui de François Noudelmann, abordant également la Shoah, et compagnon de Laurens.
Vers une érosion ?
Cette année, les voilà qui récidivaient dans la polémique, n’hésitant pas à afficher leurs désaccords politiques – certain·es acceptèrent de se rendre au festival du livre de Beyrouth, d’autres pas –, ou esthétiques, Tahar Ben Jelloun protestant contre le prix attribué au livre de Giraud. Dans la série “jurys qui se discréditent eux-mêmes”, officialisons ici la fin du prix Renaudot, qui avait donné son prix de l’essai à Gabriel Matzneff en 2013, et dont le roman récompensé cette année, Performance de Simon Liberati, s’est écoulé à… 12 000 exemplaires. Cela dit, rien de folichon non plus du côté des autres : le prix Fémina, Un chien à ma table de Claudie Hunzinger, atteindrait les 20 000 ventes, et le Médicis, l’excellent La Treizième Heure d’Emmanuelle Bayamack-Tam, les 8000.
Faut-il y voir l’érosion du système des grands prix en France, ayant trop souvent choisi les parutions les moins excitantes ou convaincantes de la rentrée ? Est-ce que les Français·es font plus attention à leurs dépenses, sur fond de guerre en Ukraine et de crise énergétique mondiale ? Ou bien les succès de la rentrée, tel le Cher connard de Virginie Despentes (dépassant la barre des 200 000 exemplaires, et sans prix), ou le très mauvais Joël Dicker (près du double), auraient-ils tiré la mince couverture des ventes à eux ? Sans doute un peu de tout ça en même temps. Dommage.
Édito initialement paru dans la newsletter livres du 8 décembre
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