Dans un cinquième roman noir et cru, le Suisse Frédéric Jaccaud précipite trois amis d’enfance dans l’enfer du porno californien des années 1980. Dantesque.
Au XVIIIe siècle, l’inventeur farfelu Jacques de Vaucanson a imaginé un étrange canard automate doté d’un mécanisme complexe qui lui permettait de simuler la digestion et même de déféquer une bouillie verdâtre. En Suisse, de nos jours, l’écrivain noctambule Frédéric Jaccaud a imaginé une étrange théorie. Sa littérature serait comme le canard de Vaucanson : un objet factice qui tente d’imiter la vie, se nourrit de réel et produit au final une matière nauséabonde.
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Le mal, la violence et la folie
Auteur de quatre romans tissés d’horreurs et d’angoisses, presque tous publiés dans la Série Noire Gallimard, l’Helvète s’est effectivement fait une spécialité d’aller puiser dans nos usages les plus innocents pour en faire ressortir le mal, la violence et la folie. De l’enfance à la technologie, ses romans digèrent nos ordinaires rassurants pour en faire des abîmes de souffrances et de vices.
Ainsi, à l’origine de Glory Hole, il y a l’amitié de trois enfants : Jean, Claire et Michel. Trois orphelins qui décident de sceller leurs promesses de fraternité et de soutien éternel avec un pacte de sang. Ça aurait pu être une jolie histoire, mignonne et bienveillante, mais avec Jaccaud, il n’y a pas de jolies histoires.
Ce sont les grandes utopies de notre époque qu’il passe à la broyeuse littéraire, pour ne laisser de l’amitié, de l’innocence qu’une charpie
Des antihéros de papier
Quinze ans plus tard, au milieu des années 1980, Jean et Michel végètent dans leurs existences minables, coincés entre petits trafics et grosses déglingues. Claire a disparu. Quand les deux hommes retrouvent sa trace, c’est en photo dans un magazine porno américain. Les rêves de gloire de la jeune femme se sont écrasés dans le désert californien, là où, dans des hangars surchauffés, on tourne à la chaîne glory holes, gang bangs et snuff movies. Quand Michel et Jean décident d’aller retrouver leur amie, ils ne réalisent pas qu’ils s’envolent pour un monde où tout se monnaie : les corps, les vies et les âmes.
Aspirer, broyer, éjecter. Ce mécanisme infernal, Frédéric Jaccaud l’applique à ses antihéros de papier, mais surtout à nos illusions contemporaines et à nos mythes modernes. Dans son roman noir où n’entrent ni la lumière ni l’espoir, ce sont les grandes utopies de notre époque qu’il passe à la broyeuse littéraire, pour ne laisser de l’amitié, de l’innocence et de l’American Dream qu’une charpie plus noire que noire. Et dire que ça aurait pu être une jolie histoire.
Glory Hole (Les Arènes), 320 p., 16 €
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