Parue en 1983 aux Etats-Unis, l’anthologie d’articles de la célèbre féministe est enfin traduite en français.
En 1963, le magazine Playboy fête ses 10 ans, et son fondateur Hugh Hefner, au pic de sa gloire, inonde les Etats-Unis de ses clubs où les fameuses Bunnies portent leurs body-bustier XS, escarpins, nœud papillon, oreilles et queue de lapin. Gloria Steinem, journaliste américaine de 29 ans, parvient à infiltrer le club Playboy de New York. Elle en tire Bunny’s Tale, un récit gonzo sous forme de journal intime mordant, qui sera publié en deux parties dans Show Magazine et restera son texte le plus célèbre.
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En laissant tomber le reportage classique pour se percher sur des talons hauts et souffrir les remarques salaces des clients masculins de l’établissement contre un salaire misérable, Steinem dénonce avec force ce monde d’hommes actifs et de femmes passives, où les uns maîtrisent la sexualité et le pouvoir, quand les autres la subissent.
Conditionnée par un manque d’assurance dû à son statut de femme
C’est ce manque d’égalité, et donc de liberté, qu’elle ne cessera de désosser dans ses écrits journalistiques comme dans ses conférences de militante pro-choice, avant de fonder en 1972 Ms. Magazine avec la féministe afro-américaine Dorothy Pitman Hughes. Objectif : contrecarrer le sexisme de la presse américaine qui ne confiait les sujets de fond qu’aux hommes blancs et refusait souvent de couvrir le mouvement féministe.
Trente-cinq ans après sa parution aux Etats-Unis, Outrageous Acts and Everyday Rebellions, son recueil d’articles et de textes majeurs, vient enfin d’être traduit en français sous le titre Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes, avec une préface d’Emma Watson. Au-delà de l’évident coup marketing de la chose, le regard que porte l’actrice de 28 ans sur ces textes qui pourraient sembler datés prouve leur pertinence.
“Elle révèle toutes les choses absolument fascinantes que le conditionnement et le conformisme de notre temps ont fini par dérober à nos regards. Par exemple, pourquoi donc les vêtements de femme sont-ils conçus pour être enlevés non par nous-mêmes mais par quelqu’un d’autre ?”
En introduction, Steinem raconte comment elle prit conscience de l’existence d’un système patriarcal et décida de sortir du silence dans lequel elle s’était emmurée, se pensant timide alors qu’elle était conditionnée par un évident manque d’assurance dû à son statut sociétal de femme.
Un travail féministe radical d’une grande force
“Trouver les mots qui permettront aux gens d’agir ensemble tout en appréciant leurs individualités respectives est sans doute la fonction la plus féministe et la plus profondément révolutionnaire de l’écrivain(e). Tout comme un changement social en profondeur ne saurait advenir sans art et sans musique (…), il ne saurait advenir sans les mots qui créent le rêve du changement dans nos têtes.”
Gloria Steinem a le sens de la formule, de celles qui vous donnent envie de combattre les injustices. C’est là toute la force de son travail de féministe, inscrit dans la seconde vague mais qui mesura très tôt l’importance de l’intersectionnalité, soit le fait d’inclure les luttes antiracistes et de classe dans la lutte féministe, faisant taire ceux qui reprochaient au mouvement de n’être qu’une protestation de femmes blanches et bourgeoises.
La radicalité du féminisme de Steinem ne souffre aucune exception. Dans Erotisme et pornographie, fusion de deux textes parus en 1977 et 1978 dans Ms. Magazine, la journaliste dénonce avec virulence la pornographie comme les pratiques BDSM, “la domination masculine qui assimile la sexualité à la violence et l’agression” et qui conduit à “de petits meurtres dans nos lits et très peu d’amour”.
Pour elle, le sexisme est intégré et certaines femmes ne se rendent pas compte de leur conditionnement. Un peu réducteur et maladroit, ce texte lui vaut d’être perçue par certain(e)s comme une féministe puritaine alors même qu’elle milite pour un érotisme du partage et de l’égalité.
“J’espère que vous trouverez dans ce livre de quoi le rendre obsolète.”
On retiendra surtout son combat contre les sentiments d’impuissance et de vulnérabilité des femmes “formées à trouver (leur) identité dans l’approbation d’autrui”. Comme Marilyn Monroe, femme-enfant manipulée par une industrie du fantasme sexiste, à qui elle consacre un texte. L’ouvrage se termine sur ces mots essentiels : “J’espère que vous trouverez dans ce livre de quoi le rendre obsolète.” Nous aussi.
Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes (éditions du Portrait), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Mona de Pracontal, Alexandre Lassalle, Laurence Richard et Hélène Cohen, 432 p., 24,90 €
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