Dans une enquête à la fois qualitative et quantitative, la sociologue Monique Dagnaud et l’essayiste Jean-Laurent Cassely analysent finement les bouleversements culturels et politiques qu’entraînent les modes de vie des 20% de surdiplômé·es en France.
Ils·elles ont fait des études jusqu’à bac+5 au moins, travaillent dans des grands open spaces en métropole, préfèrent le vélo à la voiture individuelle, ont des régimes alimentaires hyper-spécifiques mais sont omnivores de culture et de connaissances, achètent ou échangent des habits sur Vinted et votent souvent écolo ou Macron (chez eux·elles, le Rassemblement national ne recueille que 4% des voix, Les Républicains, 7%).
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On les appelle bobos, CSP+, new class, classe éduquée ou virtuelle (rapport à leur immersion dans la bulle numérique), et depuis les années 2000, fruit de la massification des universités, il·elles constituent 20% d’une génération en France.
C’est cette élite culturelle, devenue de manière inédite une “élite de masse” (selon Emmanuel Todd), que la sociologue Monique Dagnaud et l’essayiste Jean-Laurent Cassely passent au crible d’une analyse à la fois quantitative (une enquête Ifop sur 350 diplômé·es de niveau bac+5) et qualitative (des entretiens biographiques menés avec une quarantaine d’individus âgés de 25 à 40 ans) dans Génération surdiplômée.
Monopole de la représentation
Depuis quelques années, cette classe qui ne recoupe qu’imparfaitement l’élite économique (elle compte aussi des déclassé·es et un prolétariat culturel) semble exercer un monopole de la représentation : dans les films, les livres, les médias d’images, c’est souvent son visage qui apparaît. “L’émergence de millions de consommateurs culturels de niveau supérieur autorise les créateurs à se replier sur cette élite de masse pour en faire leur public”, notent Dagnaud et Cassely.
Elle a aussi ses propres humoristes (Marina Rollman, Chris Esquerre, Charline Vanhoenacker ou Alex Vizorek, tous·tes diplômé·es du supérieur), ses propres lieux (incubateurs, agences, friches, fab labs, tiers-lieux), ses propres médias de niches. Bref, il y a désormais “une version diplômée d’à peu près tout”.
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Est-ce à dire que cette nouvelle élite s’est à ce point recroquevillée dans un entre-soi socioculturel, générationnel et géographique qu’elle a fait sécession, comme le soutient Jérôme Fourquet dans L’Archipel français ? C’est justement l’originalité de cette étude que de nuancer ce propos et d’interroger cette impression de “distance, d’indifférence, voire de retrait, vis-à-vis des autres couches sociales”.
Economie vs. culture
En fait, les “20%” sont objectivement divisés entre une sous-élite qui défend l’innovation technique et économique – se rapprochant volontiers de la bourgeoisie traditionnelle –, et une “alter-élite” qui “propage une innovation plus culturelle, au service d’un changement de société”.
Ces deux tendances donnent lieu à un conflit qui se manifeste concrètement dans des pratiques culturelles et des modes de vie antagonistes : snobisme libéral et mépris de classe d’un côté, contestation du modèle dominant du consumérisme et convergence avec les Gilets jaunes de l’autre. Sur le plan politique, Dagnaud et Cassely observent cependant un puissant courant d’autonomisation de cette élite culturelle, dont de récents partis (Génération·s, Place publique, Urgence Ecologie) sont l’émanation, qui la condamne à la marginalité.
“Génération surdiplômée. Les 20% qui transforment la France” (Odile Jacob), 304 p., 22,90€
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