Publiant depuis dix ans des écrivains remarquables venus d’outre-Atlantique, les éditions Gallmeister ont donné leurs lettres de noblesse à un genre littéraire méconnu en France : le « nature writing ». Rencontre avec les artisans de cette « success story », qui ouvre de nouveaux horizons au très germanopratin milieu de l’édition française.
Sur les murs des éditions Gallmeister, au lieu des habituelles photos d’auteurs, deux magnifiques raquettes à neige en bois, et un cerf-volant à l’allure de condor. Deux emblèmes des grands espaces, de la nature sauvage et du Wild West américains. C’est cette autre Amérique, celle qui sort des sentiers battus, loin des autoroutes de Los Angeles et des rues de Manhattan, qu’explore depuis 2006 cette maison à la réputation grandissante. L’éditeur de « l’Amérique grandeur nature », comme il se définit, a fait découvrir en France des pépites comme David Vann (prix Médicis étranger 2010 pour Sukkwan Island) et ressuscité des monuments de la littérature américaine tombés dans l’oubli, tels Tom Robbins ou Bob Shacochis (La femme qui avait perdu son âme, sorti cet hiver).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« On s’est dit : ces livres n’existent pas en France »
Oliver Gallmeister et son bras droit, Philippe Beyvin, directeur de collection, emmènent prendre un café près de leurs bureaux de la rue du Regard. Ils racontent leur rencontre à la fac (Dauphine), comment ils séchaient les cours pour aller à la librairie la plus proche, dévorer des romans qu’ils s’échangeaient ensuite, leurs goûts mutuels les emmenant invariablement vers des auteurs différents. L’idée de créer la maison est née lors d’un diner, en 2003. « Je lisais beaucoup de romans en anglais, se souvient Oliver. On s’est dit : ces livres n’existent pas en France, pourquoi ne pas les traduire ? » A quarante ans passés, ce passionné semble toujours animé par un émerveillement proprement enfantin vis à vis des livres, leur capacité à vous emmener ailleurs. Pour le fils unique et solitaire, l’Amérique est vite devenue ce monde merveilleux où il pouvait s’échapper en compagnie de Mark Twain, John Ford, Bob Dylan. Ce sera ensuite les classiques (Hemingway, Steinbeck), à seize ans, puis les contemporains : « Vers 1973, les grands éditeurs de littérature américaine sont apparus en France: Rivages, l’Olivier, Actes sud s’y sont mis. Je découvrais DeLillo, Banks, on n’avait jamais lu ça ».
Le « nature writing », genre sans équivalent en France
Cette passion aurait pourtant bien pu rester à l’état de veille. Echouant à trouver du travail dans l’édition, le jeune diplômé en sciences économiques dut d’abord se résoudre au contrôle de gestion. Presque dix ans passés à vérifier des chiffres chez Hachette, jusqu’à ce jour où sa mère meurt, à cinquante neuf ans. Un choc, mais aussi un déclic. Il décide alors de se lancer avec le petit capital d’un départ négocié. Sur les conseils d’un ou deux éditeurs bienveillants, notamment Anne-Marie Métailié, il part d’abord à la rencontre des libraires, dont il cite le rôle déterminant « même s’ils ne savaient pas trop, dans un premier temps où placer nos livres dans leurs rayons ». Ecologie ? Environnement ? Littérature ? Le « nature writing », ce genre littéraire anglo-saxon et américain, n’a pas d’équivalent en France. « Ce n’est pas vraiment un style, plutôt une sensibilité, un rapport au paysage », précise l’éditeur.
Ses auteurs, il les déniche au hasard des rencontres, lors des ses innombrables périples outre-Atlantique. Il sillonne le pays de long en large, s’intéresse à la pêche en lisant Jim Harrison, découvre des auteurs méconnus et géniaux dans des magazines spécialisés consacrés à la pèche la ma mouche. S’il a lu le Walden de Thoreau, ce n’est pas la dimension académique ou idyllique du « nature writing » qui l’intéressent, l’homme fuyant dans les bois retrouver sa propre nature, etc.
« La nature, aux Etats-Unis, c’est avant tout une menace, ces cataclysmes dévastateurs, les bêtes sauvages qui errent dans les villes. Pour les écrivains, c’est comme la scène d’un théâtre qui permet à l’homme de se révéler, loin de toute morale ».
Des éléments naturels à l’état brut, sauvages, qu’on trouve notamment dans le magnifique roman de David Vann Sukkwan Island, le best-seller de la maison, avec plus de 300.000 exemplaires vendus.
Cet espace littéraire qui ne cesse de s’étendre
L’éditeur situe sans cesse ce qu’il décrit : « Les écrivains du Montana, ceux de l’Utah », etc. Il ne conçoit le monde qu’en terme de lieux, de territoires. Les éditions Gallmeister, au fond, c’est cet espace littéraire qui ne cesse de s’étendre. On peut l’observer sur une carte, façon google map, que la maison propose sur son site. Chacun des cent cinquante auteurs publiés y est situé par un point, qui indique la ville dans laquelle il vit. A côté de la géographie, enfin, il y a l’histoire, les grands mythes sur lesquels le rêve américain s’est forgé. Le domaine de Philippe Beyvin, qui a lancé en 2009 la collection « Americana » : des romanciers plus urbains, de la fiction souvent historique, voire politique. De même qu’une collection de romans noirs, où sévit notamment l’excellent Benjamin Withmer (Cry Father). N’ont-ils pas peur de la concurrence, le territoire américain étant déjà ultra représenté en France ? « Il y a de la place pour tout le monde, assure Oliver Gallmeister. Car au fond, dire qu’on fait de la littérature américaine, c’est comme dire qu’on fait de la littérature européenne. Il y a la même distance entre Los Angeles et New York qu’entre Brest et Moscou. » Et autant d’auteurs entre ces deux points.
« Une nouvelle génération de petits éditeurs »
Pour Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres Hebdo, « Gallmeister est représentatif d’une nouvelle génération de petits éditeurs qui se sont lancés dans les années 2000, avec un très grand professionnalisme, en définissant un projet et une stratégie de développement globaux: ligne éditoriale cohérente, programme établi bien à l’avance, production maîtrisée, soin apporté à la ligne graphique, etc. » A l’heure où la profession est, dans son ensemble, plutôt en crise ou du moins en récession, Gallmeister peut se réjouir de son succès. Ses dix années de travail acharné sont en train de payer, et il a réussi ce pari fou qui consiste à changer de vie à trente cinq ans, pour suivre sa première passion. Dans Même les Cow-Girls ont du vague à l’âme, publié aux éditions Gallmeister, Tom Robbins a cette phrase: « Une grande partie de l’existence revient à la question de savoir si l’on va être capable de réaliser ses rêves ou si l’on ne survivra en fin de compte que grâce à des compromis. »
{"type":"Banniere-Basse"}