Avec “Willibald”, son deuxième roman, Gabriella Zalapì poursuit un travail audacieux et contemporain, subtil échafaudage d’images et de textes à partir d’archives de sa famille pour mieux la raconter.
Rencontrer Gabriella Zalapì, c’est retrouver les mêmes sensations qu’à la lecture de ses textes. Alors qu’elle vous observe de son étrange regard vert en vous répondant avec parcimonie, on tend l’oreille pour profiter de sa voix, de chaque variation de ton, noter les hésitations, deviner l’émotion.
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Willibald est le deuxième livre de cette Italo-suisse aux origines multiples, née à Milan en 1972, élevée à Genève et installée à Paris depuis une douzaine d’années. Il est le prolongement – pas la suite – d’Antonia : Journal 1965-1966 (Éditions Zoé, 2019), son très remarqué premier roman. Dans Antonia comme dans Willibald, Zalapì construit un puzzle qui tient autant de l’installation d’art contemporain que du roman, un subtil agencement de fragments de tableaux, de photos anciennes et de textes.
“Voilà ce qui m’a intéressée : comment la famille, lointaine dans le temps, continue d’agir même si les personnages ont disparu”
Pour cette artiste plasticienne, l’aventure littéraire a débuté par un appel téléphonique. Celui d’un directeur de musée au sujet de la restitution de biens spoliés. “Il avait besoin de documents. Aussi, je me suis plongée dans un énorme corpus d’archives familiales. La famille est un sujet qui m’avait longtemps occupée en peinture, puis un jour je m’étais dit, ‘basta ça suffit’. J’ai peint tout autre chose, des zones industrielles par exemple. Ce coup de téléphone m’a rattrapé. Voilà ce qui m’a intéressée : comment la famille, lointaine dans le temps, continue d’agir même si les personnages ont disparu.” Et Zalapì s’est plongée dans une montagne de courriers, documents et photos de famille, le matériau dont elle fait ses livres. “J’ai d’abord tenté d’en faire quelque chose avec des images et j’ai totalement échoué. Il manquait les mots, en fait. J’ai commencé à combiner images et textes, et l’écriture a pris le dessus.”
On s’interroge sur ce curieux échafaudage littéraire : peut-on en parler d’une forme de work-in-progress ? “Ce n’est pas pensé ainsi au départ, mais c’est sans doute ce qui va finir par arriver. Parce que c’est un jeu qui m’intéresse, qui ouvre un espace de réflexion que j’espère plus vaste que ce livre-là.”
D’une femme à son grand-père
Antonia racontait l’histoire, dans les années 1960, d’une femme qui cherchait à se libérer de ses liens, Willibald est celle de son grand-père. Pourtant, les deux ne coïncident pas totalement, certains détails changent et, surtout, Zalapì laisse un vide de plusieurs dizaines d’années, puisqu’on retrouve Antonia en Toscane, âgée, que sa fille Mara vient visiter, en quête d’informations sur son arrière-grand-père Willibald.
C’était un collectionneur d’art, juif laïque contraint de fuir l’Autriche au moment de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Il s’installe au Brésil, commence une nouvelle vie pendant que son ex-femme et sa fille Esther sont réfugiées en Suisse. Dans l’exil, il a emporté un tableau, un sacrifice d’Abraham plié en quatre pour le faire entrer dans sa valise. Trois générations plus tard, Mara est toujours impressionnée par cette histoire, et son arrière-grand-père, qu’elle n’a pas connu, est un mystère.
L’exil comme identité
Si Willibald donne son titre au roman, le centre en est Mara, qui cherche à percer les secrets d’une famille où l’exil semble être une sorte d’identité, ou de malédiction, car sur sept générations, personne n’est né ni mort au même endroit. “C’est la réalité dans ma famille. Cela peut provoquer chez moi un sentiment de bonheur, car ça m’ouvre sur le monde et, parfois, je ne sais pas d’où je viens, tout simplement. Quand des amis me disent que, depuis des générations, ils sont Auvergnats, j’ai une espèce de sidération totale. Comment est-ce possible ? Moi-même, je suis née à Milan et il n’y a aucune raison que j’aille mourir là-bas. À Paris non plus sans doute.”
À la sortie d’Antonia, des lecteurs et lectrices ont demandé à Zalapì ce qui était vrai dans le roman. Elle n’a pas répondu. Une des spécificités de son travail est là, dans ce trouble né d’une fiction créée à partir de photos privées. “La fiction offre des possibilités infinies de combler des vides, permet de concentrer ce que moi j’ai pu percevoir.” Mais c’est aussi et surtout par son minimalisme et son refus du romanesque dans une histoire qui aurait pu en déborder que Zalapì est très contemporaine. Et les dialogues sont tout en pudeur et choses tues. Tout comme une interview de Gabriella Zalapì, quand elle se garde de tout raconter, et à certaines questions vous observe de son étrange regard vert, sans un mot.
Willibald, de Gabriella Zalapì (Zoé), 160 p., 16 €. En librairie le 8 septembre.
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