Gabriële Buffet est de ces personnages que l’on retrouve dans les biographies des autres, mais qui n’a jamais eu la sienne propre. En lisant le livre d’Anne et Claire Berest, on se dit qu’il était temps de réparer ce manque tant sa vie fut foisonnante. Née en 1881 (décédée en 1985), cette musicienne qui épouse […]
En découvrant la vie de leur arrière-grand-mère, Gabriële Buffet-Picabia, Anne et Claire Berest restituent l’effervescence de l’avant-garde et font acte de réconciliation avec le passé familial.
Gabriële Buffet est de ces personnages que l’on retrouve dans les biographies des autres, mais qui n’a jamais eu la sienne propre. En lisant le livre d’Anne et Claire Berest, on se dit qu’il était temps de réparer ce manque tant sa vie fut foisonnante.
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Née en 1881 (décédée en 1985), cette musicienne qui épouse Francis Picabia en 1909, renonce à la musique pour le suivre et se dédier à sa peinture, reste pourtant une énigme : comment une femme aussi féministe – jeune fille, elle ne voulait pas se marier mais dédier sa vie à la musique – change-t-elle d’avis en une nuit et un coup de foudre ?
Le livre s’achève sur le suicide de son fils cadet
Et puis comment cette figure de femme-sphinx inspiratrice de l’avant-garde artistique a-t-elle pu autant délaisser ses quatre enfants, au point même de ne pas s’occuper de sa petite-fille, la mère d’Anne et Claire Berest, quand son fils cadet se suicide ?
Le livre s’achève sur ce suicide et ne couvrira pas le reste de la vie de Gabriële (ça reste décidément à écrire), quand elle devient enfin la compagne de Marcel Duchamp à New York, après un long flirt au moment où elle forme un couple à trois avec lui et Picabia à Paris – comme si c’était là la fin de leur geste d’écriture, parce que le reste marque le début d’une autre histoire, la leur, celle de leur mère, qu’elles ne souhaitent pas fouiller. Leur mère, en effet, ayant été abandonnée par sa grand-mère célèbre, ne transmettra pas son histoire, ni celle de Picabia, à ses propres filles.
Le maillon qui manquait à l’histoire de l’art pour comprendre ce XXe siècle
Si dans Gabriële on suit avec passion toutes les étapes qui menèrent ces personnages flamboyant à créer, à participer au mouvement dada, à aimer et à défier toutes les conventions, on suit aussi de façon plus émouvante Anne et Claire Berest découvrant leur arrière-grand-mère au fil de leurs recherches, et d’une certaine façon, finissant par l’aimer – plus sûrement, l’admirer.
Accompagnant les révolutions de la musique du début du XXe siècle, donc déjà amatrice d’abstraction musicale, Gabriële saura ainsi faire avancer ces peintres figuratifs qui se cherchaient, les guider vers l’abstraction et le conceptuel, inspirer le grand Duchamp, séduire par son cerveau et son savoir ces hommes pourtant volages. Elle est, sans conteste, le maillon qui manquait à l’histoire de l’art pour comprendre ce XXe.
Parfois, les romancières interviennent, sous la forme d’un “je” commun, rappelant que Gabriële était aussi une femme, avec ses sentiments, et montrent leur empathie, à un siècle de distance, avec ses interrogations. Sensible, fin, intelligent, leur Gabriële est une réussite.
Gabriële d’Anne et Claire Berest (Stock), 450 pages, 21,50 €
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