Dans son dernier roman, Bruno Le Maire tente l’exercice périlleux d’écrire une scène de sexe. Et c’est gênant et raté.
Le gag de la semaine aura été la scène de sexe, ou plutôt d’anus, extraite du nouveau roman de Bruno Le Maire, Fugue américaine (Gallimard). Les réseaux sociaux s’en sont moqués, Nicolas Mathieu l’a réécrite pour donner une leçon de littérature au ministre de l’Économie, certains membres de la France insoumise ont jugé irresponsable qu’un ministre à la tête d’un ministère aussi important ait même le temps d’écrire des romans. En littérature, deux choses sont casse-gueule : le sexe et les enfants. Si l’on peut mesurer l’aptitude littéraire d’un auteur à sa capacité à écrire l’un (et faire parler les autres) sans nous faire bâiller d’ennui, avouons qu’après lecture de cette seule scène on ne trouvera pas la force de lire le reste du roman.
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Soient Julia et Oskar dans une même pièce, et près d’un lit. À propos de Julia : “l’amour était un exercice pour elle, pas une idée. Il fallait le pratiquer régulièrement pour ne pas perdre la main.” Émue, elle lance à Oskar : “Je ne sais pas à quoi ça tient ; après mes règles, pendant deux ou trois jours, je suis excitée comme jamais ; je mouille”. Après avoir apprécié la position rocambolesque du point-virgule, nous assisterons à une Julia, toute d’instinct sexuel pétrie, soulevant son tee-shirt pour exhiber ses seins : “Tu as vu comme ils sont gros aujourd’hui ? Tu as vu, Oskar ?” Deux lignes plus loin, la voilà sur le lit et sur le ventre : “elle me montrait le renflement brun de son anus : ‘Tu viens, Oskar ? Je suis dilatée comme jamais.’ En disant ces mots, elle avait un visage d’ange ; si elle était folle d’amour, moi j’étais en extase”. Et l’extasié de répondre : “Je viens, Julia, je viens. Et je la prenais en hurlant des mots que la décence la plus élémentaire m’interdit de consigner dans cette chronique d’un désastre annoncé”.
Du male gaze le plus crasse
On est d’accord : c’est grotesque. Mais c’est en fait pire que ça. Le problème n’est pas que Le Maire perde du temps à écrire des romans (son treizième) alors que les Français·es traversent une crise, mais qu’il véhicule encore des scènes de fantasmes issues de la pornographie et pour tout dire, du male gaze le plus crasse. Pas question, bien sûr, de faire ici le procès du fantasme érotique, celui-ci est rarement sophistiqué et n’a pas à être politiquement correct. Mais il y a une différence entre fantasme et littérature – celle-ci n’est jamais clichée, alors que le premier relève souvent d’un poncif.
Dans cette scène, l’ami de Michel Houellebecq véhicule cette image trop souvent vue de la femme comme “animale”, “en chaleur”, “chaudasse”, bref réduite à un instinct primaire, à son sexe, ou son anus, enfin à n’être que le pur jouet de ses hormones. Comme une bête. D’ailleurs l’amour n’est qu’un exercice pour elle, pas une idée – a-t-elle seulement un cerveau ? On soupçonne que c’est cela même, plus que l’anus en question, qui excite le plus Oskar, cette idée de la femme enfin réduite, ravalée au rang d’un animal, qu’on peut dominer. C’est cette image pénible, rétrograde et réactionnaire que véhicule Le Maire, une image très peu en lien avec la réalité des femmes, une image façonnée depuis des siècles par certains hommes, dans les livres comme au cinéma (Et Dieu… créa la femme de Vadim, avec une Bardot réduite à ses instincts et hyper sexuée ; Ava Gardner qualifiée de “plus bel animal du monde”, et on en passe). Est-ce que ça, ça prête à rire ? Pas vraiment.
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 4 mai. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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