Frédéric Beigbeder était l’invité de Sonia Devillers le lundi 3 avril sur France Inter à l’occasion de la sortie de son essai “Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé”.
Frédéric Beigbeder est-il en train de devenir fou ? C’est ce que vous avons été nombreux à penser en l’entendant déclarer cette semaine au micro de Sonia Devillers, sur France Inter, que son œuvre – je la fais courte – dénonce depuis toujours tous les maux du monde, et qu’il était féministe quinze ans avant MeToo. Et de continuer, dans nos oreilles hallucinées, en disant qu’il mérite la médaille du féminisme et d’entrer au panthéon comme Annie Ernaux (heu, pardon… Ernaux est morte ? Elle est entrée au panthéon ?). Ernaux, Beigbeder ne peut pas la supporter, un vieux gimmick des critiques de droite qui se drapent derrière la “liberté de critiquer” – c’est d’ailleurs encore ce qu’il a fait ce jour-là. Certes, les critiques ont bien le droit de critiquer, et de le faire librement, après tout c’est même ce qu’on leur demande. Mais ne pas voir que le dénigrement systématique d’Ernaux fait symptôme – idéologique… –, c’est soit être aveugle (sur soi) ou de mauvaise foi.
En fait, Beigbeder n’en peut plus de toutes ces féministes et de tous ces woke qui le harcèlent, autant de “fanatiques dangereux” avec qui il aimerait pourtant dialoguer. C’est ce qu’il confie dans ses Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé (Albin Michel), son nouveau livre. C’est souvent naïf et complaisant, pas très réfléchi. Notamment, quelques perles sur MeToo : “On aura un peu progressé le jour où les féministes comprendront qu’à part de rares psychopathes, tous les hommes sont dans leur camp.” Alors que c’est très exactement le contraire qu’aura prouvé MeToo. Je pourrais en citer plusieurs comme ça, mais pas la force.
Le point de départ du livre : le récit d’une agression
Juste une dernière pour la route, parce que c’est là que j’ai calé, p. 84 d’un livre qui en fait le double : “Quand Anne Berest, Lola Lafon ou Karine Tuil déclarent : ‘Toute ma vie, je croyais que je m’en fichais d’être juive, mais en vieillissant, je m’aperçois que je me sens juive au fond et blablabla’, tout le monde salue leur sincérité touchante. Et quand moi je déclare : ‘Toute ma vie, je croyais que je m’en fichais de mon catholicisme, mais en vieillissant je me prosterne devant Jésus dans une chapelle gothique et blablabla’, je me fais traiter de sale réac, d’apôtre de l’intégrisme et de la bourgeoisie blanche conservatrice lectrice du Fig Mag, à jupe plissée, serre-tête en velours et carré Hermès. La cathophobie est un racisme parfaitement autorisé voire encouragé en France.”
Est-ce le vrai Beigbeder qui parle, soudain en roue libre ? Ou un homme qui craque ? Le point de départ du livre est le récit d’une agression qu’il a subie, quand la haine qu’il suscite sur les réseaux sociaux – déjà pénible – a dépassé le cadre de Twitter pour pénétrer dans la réalité. Un matin de 2018, il a découvert que sa maison avait été entièrement taguée d’insultes pendant la nuit. Alors que s’y trouvaient sa femme et leurs deux enfants en bas âge. Et ça, ça ne fait pas du tout rire. À l’autre extrême du spectre idéologique, Alice Coffin aurait été, elle aussi, tellement harcelée qu’elle a vécu sous protection policière. C’est là où, si l’on peut être en désaccord avec l’un, en désaccord également avec l’autre, c’est avant tout contre ces formes de harcèlement qu’il faut tirer la sonnette d’alarme.
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 6 avril. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !