Ebooks, tablettes, vente en ligne, livres enrichis : le numérique modifie en profondeur le monde de l’édition, de la création à la diffusion. À l’occasion du Salon du livre, état des lieux d’une révolution en cours en compagnie de Frédéric Beigbeder.
Dans Premier bilan avant l’Apocalypse paru en 2011, vous vous montriez très hostile au livre numérique. Deux ans après, êtes-vous toujours aussi inquiet ?
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Je persiste et signe. Certes, j’ai l’impression que le livre numérique ne prend pas vraiment en France et tant mieux. Malgré cela, on voit déjà beaucoup de dégâts dus à la dématérialisation : toutes ces librairies qui ferment, Virgin qui dépose le bilan… J’ai grandi en lisant des BD assis dans les allées de la Fnac. J’ai vu le vinyle disparaître. Aujourd’hui, j’ai peur qu’il arrive la même chose au livre.
Vous avez déjà essayé de lire sur tablette ?
Je ne suis pas capable de lire plus de deux pages. C’est peut-être générationnel. Il faut que je lise sur du papier. Les sensations ne sont pas les mêmes. Il y a le parfum, le toucher, le fait de progresser dans le livre. Il y a un début, un milieu, une fin. On se souvient à quel endroit du Rouge et le noir se situe le passage où Julien Sorel prend la main de Madame de Rênal. Pour moi, chaque livre est unique. Je lis un livre qui n’existe que dans ma main ; je le possède. Ce n’est pas un flux dans une machine.
Vous faites part de vos craintes en tant que lecteur. Et en tant qu’auteur ?
Je suis assez honoré d’être un des rares auteurs, avec Milan Kundera, qui refuse de voir ses livres en version numérique. Je n’ai pas signé de contrat pour cela. Premier bilan avant l’Apocalypse sort en poche aujourd’hui, mais n’est pas disponible au format électronique. Bien sûr, si la version numérique représentait un tiers de mes revenus, je réagirais peut-être différemment.
S’il arrive au livre imprimé ce qui s’est passé pour le disque, on risque d’assister à la faillite des maisons d’édition, des librairies, la disparition des bibliothèques… Et tout ça pour une sorte de fantasme utopique : avoir toute la culture de l’univers dans sa poche ! Mais les gens lisent-ils vraiment les centaines de livres qu’ils téléchargent ? Aujourd’hui, il me semble qu’on est plutôt débordé que désœuvré. Je suis peut-être paranoïaque. Malheureusement, les paranoïaques ont souvent raison. J’ai peur que la culture finisse par se résumer à quelques bestsellers et que trois types – M. Amazon, M. Google et M. Apple – puissent appuyer sur un bouton rouge et détruire tous les livres.
Mais l’important, c’est le texte, pas le support, non ?
Quand j’écris un livre, j’ai envie de penser à l’objet : la couverture, la police de caractère, la mise en pages. J’aime bien aller voir la fabrication. Je crois que François Weyergans est comme ça aussi. J’ai besoin d’imaginer l’objet fini qui se retrouvera dans les mains du lecteur. Je ne pensais pas qu’un jour je passerais dans le camp des anciens combattants. Mais je n’ai pas envie de faire partie de cette révolution.
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