Ancienne voix de France Culture, Frank Smith joue à merveille de sa science du langage et des sons pour décrire le quotidien déclinant d’une île de Louisiane et de ses derniers habitants.
L’Isle de Jean Charles, sur le bord du Golfe du Mexique, est un territoire désolé. Un mélange de marécages, de bayou et de baraquements. La terre s’enfonce, les vieux meurent, les jeunes partent. Comme une malédiction, des ouragans viennent régulièrement frapper la communauté d’Indiens qui y vit depuis un siècle et demi.
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En 2004, Frank Smith y passe quelques mois, dans le cadre d’un documentaire radiophonique. Il enquête sur un projet de barrage, prévu par les autorités pour protéger toutes les côtes de la Louisiane, mais qui évite soigneusement l’île. L’auteur se lie d’amitié avec les uns et les autres. Après Katrina, il décide d’y revenir une fois, deux fois, trois fois. Ainsi naît ce livre, récit de ses séjours sur ce lopin de terre, devenu aujourd’hui une partie de lui-même.
Entre fiction expérimentale, poésie contemporaine et documentaire
Auteur iconoclaste naviguant entre la fiction expérimentale, la poésie contemporaine et le documentaire, Frank Smith est aussi une voix bien connue des auditeurs de France Culture, où il fut pendant de nombreuses années coresponsable de L’Atelier de création radiophonique. C’est précisément son travail sur la voix, les sons et la langue qui frappe d’abord dans ce texte remarquable. Son oreille sait capter et retranscrire les moindres bruits et ce qu’ils révèlent – silence, sous-entendus, vent qui préfigure un ouragan à venir.
L’auteur lie aussi les drames humains à la géographie, l’érosion de cette langue de terre à la disparition du français que parlaient les aïeuls, peu à peu remplacé par les anglicismes et l’amnésie. “Entre chaque mot, écrit-il, il y a une mer de non-dits, des flots et des rivières et des trous de silence. Ces gens s’expriment peu, ils bredouillent, la plupart du temps. Avec des accidents entre ce qui est dit et leurs dents.”
Figure emblématique d’une des trois tribus et personnage attachant, Marie-Lynn lui demande à un moment : “‘Est-ce qu’ils réintégreront tous un jour, les kids ?’ (“Est-ce qu’ils reviendront un jour, nos enfants ?”). Tu ne sais pas, ne réponds pas. Tu penses, tu crois que non. Tu sais qu’elle le sait aussi.” Récit durassien porté par une poésie indescriptible, Katrina est un grand livre sur la disparition d’une communauté. Aussi bouleversant que Dans le nu de la vie de Jean Hatzfeld.
Katrina – Isle de Jean Charles, Louisiane
(Editions de l’Attente), 136 pages, 11 €
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