L’ex-ministre de la Culture et présidente du directoire des éditions Actes Sud s’associe notamment à Antoine Gallimard pour protester contre la mainmise de Vincent Bolloré sur Hachette Livre.
Que pensez-vous de Vivendi (Editis) prenant le contrôle de Lagardère (et donc de Hachette Livre) ?
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Françoise Nyssen – Il s’agit d’une concentration encore plus pernicieuse que celle de 2003 (quand Hachette voulait racheter Editis, ndlr) car les acteurs en présence sont bien plus puissants aujourd’hui. Tous les équilibres risquent d’être fortement perturbés, avec des conséquences néfastes pour le livre et la création d’une manière générale.
Quelles seront les répercussions sur le paysage éditorial français ?
C’est une captation de valeur considérable, au sein d’une même entité, de toute la chaîne du livre, du processus éditorial jusqu’au lecteur. Il s’agit de la mainmise d’un pouvoir financier sur la création et la diffusion des idées. C’est une menace d’atteinte à la diversité et à la liberté d’expression qui sont constitutives du métier d’éditeur, et qui se manifestent entre autres par la multiplicité de maisons petites ou moyennes, souvent indépendantes. La diversité des catalogues et un réseau de librairies unique au monde (il existe autant de librairies en France que sur le territoire des États-Unis) sont les piliers de la biodiversité qui garantit une création vivante.
C’est aussi le risque d’accroissement du phénomène de “bestsellerisation” et d’une paupérisation de l’offre. Ce ne sont pas quelques alibis de “bien faire” éditorial qui réduiront le risque réel de ces tendances. Beaucoup d’auteurs, d’éditeurs et de libraires risquent de disparaître à terme. Chaque livre est un prototype, chaque auteur est unique et doit être accompagné en fonction de sa singularité. Le rôle de l’éditeur consiste à découvrir de nouveaux talents et à s’engager à les faire reconnaître. Comment défendre des jeunes talents émergents mais aussi des idées dans la diversité de leur expression quand on est pris dans la mécanique implacable d’un tel mastodonte ?
Qu’en sera-t-il pour les auteurs ?
Le risque pour ceux qui ne rencontrent pas un succès immédiat est de ne pas continuer à être publiés.
Cette mainmise aurait-elle pu être empêchée ?
Cela doit être empêché. Un tel niveau de concentration horizontale et verticale est très inquiétant. Vincent Bolloré possède un ensemble considérable (nombreux médias, chaînes de TV, radios, journaux, agence de publicité, salle de spectacle, outils de distribution, de points de vente…) qui lui assure une position dominante. Celle-ci ne pourra que se voir renforcée par l’absorption de l’autre géant de l’édition qu’est Hachette, numéro un en France et acteur de poids sur de nombreux marchés à l’international.
Comment vous êtes-vous organisés, notamment avec Antoine Gallimard ? Bruxelles peut-il vraiment agir ?
L’Europe est une démocratie et le droit de la concurrence existe notamment pour éviter l’abus de position dominante. L’abus arrive vite, quand on est en position dominante ! Le capitalisme sans éthique n’est pas tenable.
Avez-vous déjà croisé ou eu affaire à Vincent Bolloré lorsque vous étiez ministre de la Culture ? Pensez-vous qu’il représente aussi une menace d’ordre idéologique ?
Non, je ne l’ai jamais rencontré. Certains livres qui sont diffusés par ses soins prônent des idées qu’il faut combattre. On sait que des changements de responsables se sont produits dans des rédactions de médias qui lui appartiennent. Ces faits sont de nature à inquiéter et posent de sérieuses et légitimes questions pour l’avenir.
Qu’espérer ?
Que les lois et règlements soient respectés et appliqués. Nous disposons de la plus belle des lois – la loi Lang – qui, en instaurant un prix unique, permet de protéger la pluralité de la librairie en France, en régulant les rapports de force entre les grandes enseignes et les librairies indépendantes, et de maintenir l’éclectisme de la production.
On ne peut pas abandonner les libraires face à un acteur qui représenterait entre 50 % et 70 % du marché. Si Vincent Bolloré se mettait à considérer que les libraires coûtent trop cher, il pourrait baisser leurs conditions de rémunération, puisque il serait quasiment l’unique diffuseur/distributeur. De nombreuses librairies risqueraient alors de fermer leurs portess.
J’espère qu’un vaste élan de solidarité des créateurs, des libraires et des éditeurs fera front devant un tel risque hégémonique. Préservons notre précieuse et vitale (bio)diversité !
Propos recueillis par Nelly Kaprièlian.
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