Quand Françoise Giroud écrit Histoire d’une femme libre en 1960, à 44 ans, elle vient de tenter de se suicider. Retrouvée in extremis, elle est sauvée. Elle en sort dépressive mais écrit ce texte comme les mémoires de qui n’a plus rien à perdre. Ses proches, Florence Malraux par exemple, lui conseilleront de ne pas […]
Quand Françoise Giroud écrit Histoire d’une femme libre en 1960, à 44 ans, elle vient de tenter de se suicider. Retrouvée in extremis, elle est sauvée. Elle en sort dépressive mais écrit ce texte comme les mémoires de qui n’a plus rien à perdre. Ses proches, Florence Malraux par exemple, lui conseilleront de ne pas le publier, le jugeant inabouti. Il tombera dans l’oubli, et ses biographes, dont Laure Adler, auteur de Françoise paru il y a deux ans, le jugeront disparu. Amie de Giroud depuis 1987, la journaliste Alix de Saint-André l’a récemment retrouvé dans les Archives Giroud à l’Imec – comme quoi, il suffisait de chercher…
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Une femme solaire
Immense figure du journalisme, ayant fait ses armes à Elle avec les Lazareff, puis fondé L’Express avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud s’est éteinte le 20 janvier 2003 à l’âge de 86 ans. Dix ans après sa mort, Gallimard organise un tir groupé de trois textes : un très sympathique livre de souvenirs d’une amitié, Garde tes larmes pour plus tard, d’Alix de Saint-André, la réédition d’un titre épuisé, Françoise Giroud vous présente le Tout-Paris, une série de portraits qui vont de Christian Dior à François Mitterrand, et enfin ce très attendu Histoire d’une femme libre.
Quand Giroud l’écrit, l’heure est grave, donc. Cette femme solaire a tenté de se suicider le soir où l’homme qu’elle aime, Jean-Jacques Servan-Schreiber, vient de la virer de L’Express (leur bébé) à cause des lettres anonymes (et antisémites – elle qui était juive…) qu’elle lui aurait écrites à lui et à sa jeune femme, Sabine. Car peu de temps auparavant, et comme un bonheur n’arrive jamais seul, JJSS l’a plaquée pour une jeune femme de 20 ans avec qui il allait enfin pouvoir avoir des enfants.
Histoire d’une femme libre a le charme grave et léger, l’élégance et la cruauté des confessions du XVIIIe siècle. Françoise Giroud est une femme de tête au cœur souffrant. Elle y aborde sa plus pure vérité en s’évitant le scabreux – cela, il faudra aller le chercher, si l’on y tient, dans les biographies. Elle a assez souffert comme ça. Y sont évoqués son enfance, son père qui ne l’aime pas, son amour mal placé et déçu pour Marc Allégret, ses débuts dans la vie en tant que scripte de cinéma, sa rencontre avec JJSS, L’Express… avec en fil rouge constamment tendu, une question essentielle : comment vivre en femme libre ? Doit-on sans cesse payer le prix de sa liberté ?
“Quand on prétend naviguer sans jamais porter le poids d’un parachute, il faut accepter le risque et ne pas se plaindre lorsqu’on se retrouve éjectée, les reins cassés. Je ne me plains pas. J’ai toujours accepté le prix de ma liberté.”
« En tout cas, ce matin-là, il ne m’aimait pas »
Le ton, d’ailleurs, diffère radicalement d’avec celui de ses chroniques du Tout-Paris. Pour croquer les célébrités, elle use par trop souvent de formules, se regarde faire de l’esprit, bref, s’adresse à un autre (le lecteur) et veut le séduire. Dans Histoire d’une femme libre, exit la bienséance et la coquetterie : reste une femme brisée qui se parle à elle-même dans une tentative désespérée de sauver sa peau. Et tant pis s’il faut achever l’autre à coups de mots pour cela. Rien de plus difficile que de parler des êtres qu’on a aimés et qui nous ont déçus. Mais, à propos de JJSS, Giroud parvient à garder la bonne distance, celle de l’entomologiste qui épingle des papillons morts :
“En le regardant partir, je me dis que je l’avais bien jugé : loyal, généreux, constant dans ses objectifs, mais implacable pour qui risquait de le déranger. Avec tout cela on fait de grandes choses, mais pas de l’amitié. Il avait aussi, à un rare degré, l’intelligence et la délicatesse du cœur à l’égard de ceux qu’il aimait. Mais il aimait peu, très peu. En tout cas, ce matin-là, il ne m’aimait pas.”
À lire ce texte profondément émouvant, on se dit que la dernière aliénation pour les femmes, une fois qu’elles ont pu rompre avec un milieu familial et social contraignant, reste l’amour. D’ailleurs, au moment où elle évoque Allégret, elle écrit : “La vie serait supportable sans amour. On s’aimerait bien. Ce serait doux, calme et léger. On resterait fort. On irait droit, sans que parfois des ailes vous poussent, mais sans détour. Ce serait délicieux, fécond et morne. Je connais. Il faut avoir vécu cela longtemps dans… j’allais écrire : dans une existence d’homme, pour être tout énergie à d’autres tâches…” Histoire d’une femme libre est un texte doucement désespéré. Jamais amère, Giroud est stoïquement résignée au fait que “tout est blessure à qui est blessé”. C’est ce que cette optimiste a appris de sa vie en l’ouvrant, le temps d’un texte, comme on rouvre le dossier d’une enquête que l’on croyait classée. Après, il faudra continuer à vivre avec soi.
Nelly Kaprièlian
Histoire d’une femme libre (Gallimard), 256 pages, 18,50 €, Françoise Giroud vous présente le Tout-Paris (Gallimard), 464 pages, 22,90 € Garde tes larmes pour plus tard d’Alix de Saint-André (Gallimard), 304 pages, 20 €
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