Un autre visage de François-Marie Banier se dévoile, un an après l’affaire Bettencourt et le déchaînement médiatique, dans un roman bref et fort de Jean-Marc Roberts. Contre le grégaire, un portrait gracieux.
Les effets de meute sont intolérables. Mais qui n’a pas commenté et suivi avec passion l’affaire Banier-Bettencourt, qui n’en a pas ri ? La presse est tombée sur François-Marie Banier, accumulant les portraits à charge.
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Le livre de Jean-Marc Roberts, aussi gracile qu’il est beau, tendre envers Banier et acide pour les autres (la « vieille », un journaliste du Point, etc.), rétablit un équilibre. Se positionner toujours contre la meute, le groupe, le grégaire : c’est là que doit se placer la littérature, de là qu’elle doit s’écrire. Comme ici, contrer le scandale public par le récit de l’intimité, du souvenir de ces temps partagés – une jeunesse, ça n’est rien, mais ça compte quand près de trente-huit ans plus tard la vie vous a rattrapé, coincé, écrasé, parce que ça disait une vérité sur vous…
Il y a longtemps, ils partageaient tout, allaient au Sept puis chez Castel ensemble, Banier avec son compagnon, Jacques, Roberts avec sa première femme, Bettina, secrètement amoureuse de Banier. Un quatuor régulièrement réuni dans l’appartement de l’écrivain-photographe rue Servandoni, puis au fil des années s’ouvrant à un jeune acteur, Pascal Greggory, à une belle actrice, Isabelle Adjani, puis aux enfants de Roberts devenu l’éditeur que l’on sait (aujourd’hui chez Stock), puis s’effilochant… jusqu’au scandale, quelques décennies plus tard.
« On lui en a voulu car il ne l’avait pas volé, cet argent »
Car scandale il y eut : Banier n’avait pas travaillé pour ce milliard, n’avait même pas couché pour l’avoir – certaines actrices ou mannequins sont sans doute mieux nanties par les hommes d’affaires ou héritiers qu’elles ont pour amants, sans que personne n’y trouve à redire : tant qu’elles couchent, tout est dans l’ordre… Or dans un pays aussi petit-bourgeois que la France, donner de l’argent et en recevoir autant, sans labeur, sans sueur, sans filiation, sans contre-partie a fait scandale.
Ainsi l’argent était… gratuit ? Impossible : la vieille était forcément folle, et le « pédé », un salopard qui l’avait embobinée, voire brutalisée.
« On lui en a voulu car il ne l’avait pas volé, cet argent. Au fond, on aurait eu plus de compassion, plus de tendresse pour un voleur. François-Marie est un homme libre, sans pouvoir, qui n’entre dans aucune stratégie, qui n’est utile à personne. C’est aussi pour cela qu’il a été facile de s’en prendre à lui. Car c’est curieux que des gens comme Bernard Tapie, Alain Minc ou Jacques Attali, qui ont fait des choses pas très convenables ces dernières années, n’aient pas subi un centième de ce que François-Marie a eu à subir », constate Jean-Marc Roberts, qui a recontacté son ami alors qu’il se trouvait en pleine tourmente.
« Il m’a accueilli en me disant que j’étais un des rares à l’appeler encore. Pendant l’affaire, il s’est retrouvé très seul. Seuls Dominique Fernandez et Inès de la Fressange ne l’ont pas laissé tomber. »
Donner à voir un autre François-Marie Banier
Toute la grâce du geste de Roberts, c’est de ne pas fouiller l’affaire, de ne traiter que ce qu’il connaît : « La vieille lui a écrit des lettres et François-Marie voulait que je les lise pour ce livre. J’ai refusé. Ce texte n’est pas un document, et dès lors François-Marie n’avait pas à me donner son accord pour la publication. » Son enjeu sera de donner à voir un autre François-Marie.
Dans cette lettre d’affection comme on dit d’amour à l’adresse de son ami, Roberts renverse la tendance :
« Je l’ai vu dans les années 70 : François-Marie entretenait la décoratrice Madeleine Castaing, contrairement à tout ce qu’on a dit. Les dîners au restaurant avec Aragon, c’est lui qui les payait. Je l’ai toujours vu régler les notes. Et puis Aragon était chiant, il fallait quand même le supporter. Mais ces êtres le fascinaient pour leur histoire. Ils les trouvaient beaux. Peut-être aurais-je aimé être comme lui ? Il est comme mon miroir idéal. »
Tout l’équilibre du livre tient ainsi dans sa parfaite construction en miroir, même si les temps s’enchevêtrent et les images se bousculent, les scènes des famille de l’un et de l’autre renvoient les unes aux autres ; les « trois garçons » de l’un (les amis de Banier) trouvent écho dans les « trois garçons » (les trois derniers fils de Roberts) de l’autre. Des carrières littéraires commencées en même temps, pour deux hommes connus davantage pour autre chose que pour leurs livres.
Ce goût du romanesque (Roberts invente toute la dernière partie du texte, le Banier d’aujourd’hui : comme un concentré de ce qu’est vraiment sa personnalité), des personnages, d’une vie au-dessus de la vie – ils partagent tout cela. Ainsi que cette trajectoire ascensionnelle dans la société et peut-être cette même crainte d’être démasqués – ou trahis par leurs masques.
Roberts n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’empare d’un « autre » qui le touche essentiellement (on se souvient de son très beau Une petite femme, en 1998, autour de sa mère). S’il tournait depuis quelques romans déjà autour du motif du temps qui a passé, de ceux qu’on perd et de ce qu’on garde, c’est à travers la figure de François-Marie Banier qu’il parvient avec le plus de sensibilité, de justesse, à saisir le temps qui n’est plus, le temps qui vous façonne comme de la glaise, le temps qui écrit votre vie sur un livre implacable, impalpable, et qu’il faut un jour ou l’autre ouvrir, affronter. « Il me donne du talent », répète-t-il. Pas faux.
Nelly Kaprièlian
François-Marie (Gallimard), 104 pages, 10 euros
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