Max Porter imagine les derniers jours du peintre britannique disparu il y a trente ans et reproduit son geste créatif pour transcrire des tableaux fascinants.
“Est-ce moi qui ai dessiné ça ? Cadre ou lit, le trou pourrait être une fenêtre, la chair pourrait être plate, personne ne regarde/un corps prostré/un autre le veille.” Ainsi commence le nouveau livre de Max Porter, qui décrit les derniers jours de Francis Bacon sur son lit de mort, dans un hôpital religieux de Madrid, en 1992.
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Le mourant s’adresse à sœur Mercedes, qui le veille, autant qu’à celles et ceux qui ont compté dans son existence et à ses héros – Van Dyck, Le Caravage. Il sait qu’il est en train de partir et observe, concentré, ce qu’il se passe en lui. Ses souvenirs le submergent, les personnages de ses œuvres le hantent, passé et présent se confondent pour former des peintures mentales, des hallucinations que Porter écrit comme s’il était dans cette chambre, assistant à l’agonie.
Plus proche de la poésie ou du théâtre que du récit, foncièrement inclassable, audacieux, brillant, écorché
Viscéral et enfiévré, ce texte expérimental dynamite les conventions de l’écriture tout comme l’artiste dynamita celles de la peinture avec ses toiles. Plus proche de la poésie ou du théâtre que du récit, foncièrement inclassable, audacieux, brillant, écorché mais imprégné d’une forme paradoxale de tendresse, La Mort de Francis Bacon réussit l’exploit de retranscrire en mots ces sensations uniques au monde que provoquent les toiles du peintre.
“Elle pivote et tout à coup voilà, ça c’est une belle vision, le cou tordu, une épaisse ligne d’ombre brune, ce que j’avais aperçu ce matin, cette arête osseuse qui me nargue, sacré sacrilège, petit taureau piaffant sous un nez brisé.”
Exprimer le flux du vivant
Le livre est composé de sept tableaux, sept peintures textuelles définies par des cartels placés en exergue de chacune d’entre elles : “Esquisse/Non existant, crayon sur papier, 16×10 cm.” On y entre et on le parcourt comme on le ferait dans une exposition, face à des toiles de Bacon. L’œil s’arrête sur quelques mots placés en dessous les uns des autres sur la page, on les relit pour comprendre pourquoi ils nous interpellent tant. Ça s’emballe parfois, les images assaillent le narrateur et interrompent ses phrases, bousculent ses mots pour mieux exprimer le flux du vivant, cette “logique de la sensation” que décrivait Deleuze au sujet de la peinture de Bacon.
On sent la gouache, la sueur, le sexe, et surtout cette furieuse pulsion créatrice qui prend à la gorge, mène aux bords de la folie
“IldeboutDosà moi. Grande longue gcendre molle, longue cendre molle bout dsaclope jesais jamais à quoi ipense. Aquoiestcequipense. Un cul/jcrache dessus mets dlasalive.” On sent la gouache, la sueur, le sexe, et surtout cette furieuse pulsion créatrice qui prend à la gorge, mène aux bords de la folie. On entend le souffle épuisé mais obstiné de l’artiste : il souffre de crises d’asthme dont il périra, pourtant il regarde la mort en face, sans appréhension. Nourri, comme il l’a toujours été dans sa vie et son œuvre, par une curiosité sans borne. Déterminé jusqu’au bout à toucher à une forme de vérité sensible.
Dans une interview, Max Porter explique avoir eu un besoin profond d’écrire ce livre pour revenir à ses passions de jeunesse, l’art et les sensations extraordinaires qu’il ressentit lorsqu’il découvrit pour la première fois des toiles de Bacon. Il y parvient haut la main.
La Mort de Francis Bacon de Max Porter (Seuil), traduit de l’anglais par Charles Recoursé, 80 p., 14 €. En librairie.
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