A travers trois vies dans la banlieue nantaise des 80’s, Gaëlle Bantegnie brosse le portrait d’une décennie gangrenée par la société de consommation. Un premier roman radical.
A l’abord d’un premier roman, l’unité de mesure change, pour se caler sur la singularité d’une voix, la radicalité d’une proposition romanesque. Cette année, peu de premiers romans ont répondu à l’appel, laissant un drôle d’animal prendre ses quartiers dans le paysage de la rentrée littéraire.
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France 80 mériterait d’hériter d’un tas de petits noms pour qualifier sa bizarrerie. On pense à un charmant roman vintage, heureux de cultiver une nostalgie suprêmement eighties, avant qu’émergent d’autres facettes : étude anthropologique, curieux exercice de style et même œuvre de grande maniaque.
Le roman de Gaëlle Bantegnie, prof de philo et, paraît-il, chanteuse dans un groupe d’electro-rock, s’ouvre sur un jour de 1984 pour se refermer cinq ans plus tard, le samedi 25 août 1989.
France 80 se fait la chronique de ces années-là, à travers trois vies suivant leurs cours parallèles dans la banlieue nantaise : d’un côté une lycéenne ronchonne, Claire, dont on suivra la scolarité, la vie de famille, les premiers flirts et les accès de boulimie, jusqu’à l’obtention de son bac.
De l’autre, un couple “à problèmes” : de lui, Patrick, on lit les déplacements en province, le porte-à-porte en tant que commercial pour “Canal Plus Décod”, les quelques histoires de fesses (non cryptées). On apprend qu’il lui “arrive de danser en slip sur la BO de Grease”, tandis que Nadine, sa fiancée, titulaire d’un CAP coiffure, passe ses journées à “regarder Jacques Martin” en buvant du Ricqlès.
Suivant l’humeur de l’inventaire nostalgique, le roman fait avancer références culturelles et personnages main dans la main. France 80 évoque assez vite une pub géante et volontairement démodée compilant avec bonheur les marques et enseignes issues d’une mémoire collective, qu’on cite Le Coq sportif, les saucisses Herta, les verres à moutarde Goldorak, Ricoré, Télé 7 Jours, Kickers, le Top 50, Sacha Distel, Banga, et cela ne représente qu’un centième des brouettes dont Gaëlle Bantegnie arrose sa fiction. Joie de la citation, du kitsch opéré par le temps.
Le malaise n’intervient que dans un second temps. Car à force de minutie, ce catalogue des mythologies de la France des années 80 finit par devenir obsédant, avec pour effet d’engluer la narration. Entre nos trois “héros”, on pariait sur une possible rencontre. Mais non. Sans cœur, sans psychologie, Claire, Patrick et Nadine en sont réduits à n’être que des produits de leur époque, trois archétypes reproduisant les tics et les modes de leur génération.
Sous la plume ambivalente de Gaëlle Bantegnie, les voici piégés par la consommation et le divertissement de masse, en plein cœur d’une décennie où ils ont pris leur envol. Ainsi, les mots de Bantegnie ne sont pas faits que de joli toc, amarré à cette joie facile que donnent parfois les boîtes à souvenirs. Sous la maniaquerie assez dingue qu’il y a à dresser un état des lieux de l’art de vivre et des modes des années 1984-1989, on aurait tort d’ignorer la critique d’un réflexe consumériste qui, lui, n’a pas pris une ride.
France 80, Gaëlle Bantegnie (Gallimard)
Retrouvez un extrait de ce livre dans le supplément Rentrée littéraire des Inrocks.
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