Après la saga des Frères Lehman, le dramaturge et écrivain italien Stefano Massini retrace en vers libres l’avènement du foot féminin anglais pendant la Première Guerre mondiale.
6 avril 1917. La radio du front annonce de nouveaux morts, les Etats-Unis entrent en guerre et Lénine prépare la révolution russe. Pendant ce temps-là, dans la cour d’une usine d’armement de Sheffield, au nord de l’Angleterre, onze ouvrières profitent de leur pause déjeuner pour avaler un sandwich au hareng, assises en rang d’oignons sur un muret. Qui sait pourquoi l’une d’elles, soudain, se lève pour aller taper dans l’objet sphérique abandonné au milieu de la cour ? Et pourquoi les dix autres la suivent ?
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A chacune ses raisons de courir ce jour-là : paternalisme écrasant pour les unes, socialisme pour les autres, frustrations ménagères pour toutes. Au cœur de la guerre, les maris et les fils sont au combat, le champ est libre pour que s’expriment les élans de révolte et d’émancipation.
L’épisode aurait pu être tragique, il sera fondateur : au bout d’une demi-heure de passes, dribbles et tirs au but, le onze féminin réalise qu’il ne joue pas avec un ballon mais avec le prototype d’une petite bombe : “Puissance de destruction égale à six grenades / Portée : plus de deux cents mètres.” L’engin aurait pu toutes les tuer, il vient de les faire naître : maillot en toile mortuaire et l’ange de la mort sur la poitrine, les Aigles noires de Sheffield joueront en short, n’en déplaise au clergé.
Son écriture jouissive suit les échappées libératrices, les transversales insoumises et les coups francs féministes d’une aventure qui se joua bien au-delà des limites du terrain
Inspiré notamment par le célèbre Dick, Kerr’s Ladies Football Club, l’une des toutes premières équipes féminines britanniques qui gagna plus de 700 matchs mais se vit privée de terrain par la très conservatrice Football Association anglaise, l’Italien Stefano Massini donne voix, corps et mollets à ces pionnières inspirantes.
Connu pour avoir orchestré en 30 000 vers libres la saga banquière des Frères Lehman (prix Médicis essai et prix du meilleur livre étranger Sofitel, en 2019), le dramaturge transalpin versifie à nouveau la légende. Tout en cadence et en ruptures, en fulgurances et en fugues brèves, son écriture jouissive suit les échappées libératrices, les transversales insoumises et les coups francs féministes d’une aventure qui se joua bien au-delà des limites du terrain. “Trois mois plus tard, saisit l’auteur, il n’y en eut plus aucune/pour dire ‘Je suis une princesse’ :/elles étaient toutes des footballeuses.” Voilà peut-être la plus lumineuse des victoires.
Le Ladies Football Club (Globe), traduit de l’italien par Nathalie Bauer, 192 p., 20 €
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