Douze ans après son rachat par un groupe italien, Flammarion est à nouveau en vente. Qui s’offrira la belle maison d’édition pour 300 millions d’euros ? Un éditeur indépendant comme Gallimard ou un fonds d’investissement qui s’est porté candidat ?
Feutré le petit monde de l’édition française ? Pas vraiment si l’on observe de près le feuilleton à rebondissements qui le secoue depuis que Flammarion, fleuron du secteur, cherche un nouveau propriétaire. L’italien RCS MediaGroup, qui a racheté la maison d’édition française fin 2000, la met en vente. Le groupe, qui détient aussi l’éditeur italien Rizzoli, le quotidien Corriere della sera ou le journal espagnol El Mundo, est lourdement endetté et affiche une perte nette de quelque 320 millions d’euros pour 2011.
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Il y a foule pour récupérer Flammarion, septième éditeur français : pas moins de dix prétendants ont fait part de leur intérêt et cinq candidats viennent d’être sélectionnés par RCS. En toile de fond se joue l’avenir de l’édition indépendante française. Le marché de l’édition, qui compte une armée de petites maisons, ne se cantonne plus depuis longtemps au seul quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés. Deux mastodontes règnent depuis 2003 sur ce marché aux 4,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Hachette Livre – Grasset, Stock, Fayard, Lattès… –, filiale du groupe Lagardère, s’impose comme le leader incontesté. Vient ensuite Editis – Nathan, Plon-Perrin, Robert Laffont ou La Découverte –, propriété du groupe espagnol Planeta.
Il faut compter aussi avec cinq prestigieuses maisons d’édition indépendantes de taille moyenne, Média-Participations (Dargaud, Fleurus…), La Martinière- Le Seuil, Flammarion, Gallimard et Albin Michel. Pas toujours unies pour contrer les deux géants ou face aux enjeux du livre numérique, ces maisons défendent en revanche d’une même voix l’édition indépendante en France. Il n’est donc pas question que dix ans après s’être fait la belle pour l’Italie, Flammarion ne réintègre pas sa patrie d’origine. Sans compter que si l’une de ces maisons mettait la main sur l’éditeur, elle se hisserait sur la troisième marche du podium.
Alors le rachat de Flammarion, un combat pour sauver l’édition indépendante ou une course à la place de numéro 3 ? Certainement un peu des deux si on observe le profil de certains prétendants, Gallimard en tête, qui en rêve depuis des années, mais aussi Albin Michel qui s’est associée à Actes Sud dans ce dossier. Dirigée par la très charismatique Teresa Cremisi, Flammarion est une maison en bonne santé, une pépite qui vient de réaliser deux années exceptionnelles. Portée par le prix Goncourt 2010 – qu’elle n’avait pas reçu depuis trente ans – décerné à Michel Houellebecq pour La Carte et le Territoire, la maison a coup sur coup gagné ses lettres de noblesse et gonflé sensiblement son chiffre d’affaires avec ce livre vendu à 550 000 exemplaires pour le seul grand format.
Teresa Cremisi a aussi réussi à attirer des auteurs à succès comme Christine Angot, Jean-Christophe Ruffin ou encore le très controversé Pierre Dukan, dont les “régimes” se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires. La maison créée en 1876 par Ernest Flammarion couvre un catalogue de 27 000 titres, avec 36 millions de livres vendus en 2011, des marques comme J’ai Lu, Autrement ou Arthaud. C’est aussi de la bande dessinée avec Casterman qui, grâce au film de Spielberg, a vu les ventes des albums de Tintin s’envoler. Celles des Simpsons ont dépassé le million d’exemplaires, boostées par le succès de la série télé. Pourquoi vendre cette entreprise dont le bénéfice avoisine les 30 millions d’euros ?
“Sous pavillon italien, Flammarion n’a finalement jamais trouvé sa place dans un groupe contrôlé par des banquiers et des industriels, plus porté par la presse que par l’édition. Flammarion est une très belle mariée aujourd’hui, c’est donc le bon moment pour la vendre et en tirer un bon prix”, estime un banquier d’affaires.
Premier à déclarer sa flamme : Antoine Gallimard. L’intérêt de la prestigieuse maison du même nom n’a été une surprise pour personne. Antoine Gallimard connaît le dossier par coeur et il est très proche de Teresa Cremisi qui fut sa directrice éditoriale pendant seize ans avant de se voir confier les rênes de Flammarion en 2005. Il y a douze ans, il avait déjà failli l’emporter quand la famille Flammarion avait mis la maison en vente. Mais RCS s’était montré plus généreux sur le montant du chèque (160 millions d’euros). L’histoire ne risque-t-elle pas de se répéter ?
Le patron de Gallimard, qui a toujours déclaré qu’il ne rachèterait pas Flammarion à n’importe quel prix, a fait une offre avant que le dossier ne soit sur le marché. Il aurait proposé 200 millions d’euros. Ce montant que l’intéressé se refuse à confirmer est pourtant considéré comme le “juste prix” par l’ensemble de la profession. Il correspond grosso modo à un an de chiffre d’affaires pour la seule vente de livres de Flammarion. Cette offre à 200 millions d’euros laisse les Italiens sur leur faim. Ils souhaiteraient en effet récupérer 300 millions d’euros de la vente de leur filiale française. RCS a alors chargé sa banque conseil Mediobanca de distiller quelques indiscrétions dans la presse italienne sur la future vente afin d’attirer les prétendants et de faire grimper les prix. RCS indiquait il y a une quinzaine de jours avoir reçu “six offres préliminaires d’un montant moyen de près de 300 millions d’euros”.
Cette information a fait jaser les éditeurs jusqu’à ce que le journal Le Monde révèle fin mars qu’un des cinq candidats retenu n’était autre que le fonds d’investissement Chequers Capital, inconnu du monde de l’édition. Ce dernier, présent dans le capital du cuisiniste Vogica ou de la chaîne d’opticiens Grand Optical, serait prêt à débourser la somme. C’est un véritable séisme qui s’abat sur les éditeurs. Beaucoup gardent un souvenir amer de la vente du numéro 2 français Editis au fonds d’investissement Wendel par Lagardère en 2003. Tout un pan de l’édition française était alors tombé entre les mains du baron Ernest-Antoine Seillière. Wendel, qui avait juré de garder Editis un moment, l’avait revendu quatre ans plus tard, empochant au passage une confortable plus-value de 500 millions d’euros…
“L’histoire ne doit pas se répéter, on ne s’invente pas éditeur du jour au lendemain. Flammarion doit rester entre les mains de professionnels”, s’irrite un petit éditeur indépendant.
Pour l’heure, les cinq candidats retenus par l’éditeur italien vont se voir ouvrir la fameuse “data room”, le sésame qui leur donnera accès aux informations économiques et financières détaillées de Flammarion. Outre Gallimard, Albin Michel associée à Actes Sud et Chequers Capital, on trouve parmi les sélectionnés Editis et le groupe américain HarperCollins, contrôlé par le magnat de la presse australien Rupert Murdoch. Enfin, alors qu’une rumeur prétendait qu’Hachette s’intéressait au dossier, le groupe dément catégoriquement. Selon la presse italienne, le nom du nouveau propriétaire pourrait être connu courant mai.
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