Au crépuscule des années 60, de New York à la Californie, le rêve hippie débute son agonie. Elle transparaît dans “Downtown Diaries” de l’auteur culte Jim Carroll et “Low Down” d’A. J. Albany.
Un jeune homme poignardé par des Hell’s Angels gavés de LSD : le concert des Rolling Stones à Altamont en 1969 marque communément la fin des sixties, la mort des litanies hippies et de l’utopie “peace and love”. Ce qui relève d’un marqueur collectif se vérifie dans les pages de Downtown Diaries à la même époque, soit la confession furieuse d’un poète sans le sou et brûlé de l’intérieur par la drogue.
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Son auteur, Jim Carroll, est connu pour un récit autobiographique intitulé Basketball Diaries, dont Downtown est la suite. Au narrateur encore adolescent sombrant peu à peu dans la dope, incarné plus tard au cinéma par un DiCaprio encore poupon, succède un jeune écrivain addict à l’héroïne, gravitant dans le New York underground. Journal intime de la déchéance, publié en 1987, où le corps n’est plus qu’un réceptacle à injections, Downtown Diaries saisit le “vent de folie” (dixit Burroughs en quatrième de couve) qui souffle sur Manhattan au début des années 70.
Romantisme désenchanté
Addiction au speed, lofts immondes de saleté (où l’auteur et sa copine se débarrassent mutuellement de leurs morpions) et faune du Chelsea Hotel rythment le quotidien de ce jeune camé pour qui “ne pas mourir jeune constitue un véritable dilemme”, et entend combler cette attente par des scènes aussi cocasses que nimbées de romantisme désenchanté : Ginsberg extatique se paluchant à l’aide d’un vibromasseur, Warhol claquemuré dans sa Factory comme dans une tour d’ivoire “depuis qu’(il) s’est fait tirer dessus par une goudou”, le Velvet Underground, Bob Dylan, “sorte de caméléon sage et cacochyme”…
Un job de caissier plus tard – dans un ciné porno certifié warholien –, des aventures sexuelles piteuses avec “la fille aveugle de Quasimodo” et une artiste qui enregistre toutes ses conversations téléphoniques, puis une fugue en Californie parachèvent cette confession où le corps du poète accomplit une sorte de performance : entre autodestruction et écriture sous drogues, défaite intime et exploration.
Implacable tristesse
La création flirtant avec le sabordage personnel fait aussi la marque de l’hommage d’A. J. Albany à son père, célèbre pianiste de jazz dans les années 60. Sur la Côte Ouest cette fois, traversée de grands noms (Armstrong, Chet Baker…), l’auteur restitue de manière bouleversante l’histoire d’un “corps ravagé par un demi-siècle de dépendances et de tristesse”. Une épopée du malheur qui convoque à son bord une mère junkie, ex de Ginsberg (dans sa phase hétéro), et un père génial mais schizophrène.
Héroïne, jazz et électrochocs scandent l’enfance chaotique de cette femme qui, aujourd’hui encore, ne parvient pas à se séparer des cendres de son père enfermées dans un placard, dans un pot de peinture. Ce récit de survie très émouvant finit par des photos – fragiles reliquats de bonheur – et ce constat d’une implacable tristesse : “Il avait un talent immense mais n’était pas capable d’en jouir.”
Downtown Diaries de Jim Carroll (Inculte), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jérôme Schmidt, 208 pages, 16,90 €
Low Down d’A. J. Albany (Le Nouvel Attila), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clélia Laventure, 208 pages, 19 €
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