Présentée en deux tomes, une somme passionnante et féministe se penche sur la place des femmes en littérature. Du Moyen Age au XXIe siècle, anatomie d’un très lent passage d’objet à sujet.
A l’heure où l’on redécouvre le féminisme – et on ne va pas s’en plaindre –, et alors que les débats ont récemment agité le milieu du cinéma, on peut s’interroger : et la littérature, dans tout ça ? Début janvier, Vanessa Springora, en publiant Le Consentement, renversait la situation dans laquelle ont toujours été enfermées les femmes : celle d’objet. En prenant la parole, en écrivant, en donnant sa propre version des faits, l’ex-enfant objétisée par Gabriel Matzneff quand elle avait 14 ans, est devenue sujet. Est-ce cela qui a fait tellement peur aux hommes depuis des siècles, que les femmes deviennent sujets et fassent d’eux les objets de leur écriture ? Et dès lors, qu’elles accèdent au pouvoir ?
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Trop changeante et sentimentale
L’écriture est politique. C’est ce que l’on constate encore en se plongeant dans la somme absolument passionnante publiée sous la direction de Martine Reid chez Folio (Inédit essais), deux volumes intitulés Femmes et littérature, sous-titrés Une histoire culturelle. Car c’est bien d’une culture qu’il s’agit, tant la place des femmes dans le domaine littéraire se définit aussi par l’histoire, la philosophie, l’idéologie – ce qui donne le patriarcat. Depuis le Moyen Age, la place des femmes dans la cité comme dans l’art (à nouveau, c’est la même chose) est débattue. Elle le sera jusqu’à aujourd’hui – ou, pernicieusement, continue d’une certaine façon à l’être.
“Qui sont les femmes ? Qui sont-elles ? Sont-elles serpents, loups, lions, dragons, vipères ou bêtes prédatrices dévorantes” Christine de Pizan
S’immerger dans ce travail ample et remarquable, féministe, c’est voir à quel point les masses ont eu la tête dure et les idées courtes, confisquant le pouvoir à l’autre moitié de la population mondiale, pour que les hommes conversent leur suprématie. Dès Aristote, la femme est réduite à son corps et dénigrée. Au Moyen Age ça continue, elle est associée à l’humidité (les bonnes vieilles règles !) et à la Lune : elle est donc trop changeante et sentimentale et romanesque pour qu’on lui confie le pouvoir de se commander, de commander, de s’exprimer.
Au Moyen Age, Christine de Pizan, féministe avant l’heure, écrit : “Qui sont les femmes ? Qui sont-elles ? Sont-elles serpents, loups, lions, dragons, vipères ou bêtes prédatrices dévorantes, hostiles à la nature humaine qu’il faille faire des arts pour les tromper et les capturer ?” Elle est la première à faire entendre sa voix, à écrire des traités politiques et des textes philosophiques, des textes autobiographiques, à se battre pour les femmes, pour leur place en littérature, et attaque Le Roman de la rose de Jean de Meung sur ce thème. Quoi, une femme ose débattre avec un homme ? Qu’on se rassure : elle finira au couvent. Là où finiront d’ailleurs nombre de femmes qui ne trouvent pas ou plus leur place dans une société misogyne.
“La première fois, les femmes se mettent à écrire en prose”
Tout de même, le Grand Siècle est “véritablement exceptionnel du point de vue de la création littéraire féminine, particulièrement inventive et talentueuse (…). C’est au XVIIe siècle que pour la première fois, les femmes se mettent à écrire en prose. Elles inventent et dominent un genre majeur créé au XVIIème siècle : le roman moderne.” Elles sont alors aussi les premières à écrire des contes de fées ; elles brillent dans le genre épistolaire, et puis elles tiennent salon, ce qui achève de leur donner du pouvoir.
La révolution des genres advient, avec Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar, Hélène Cixous…
Certaines femmes commencent à refuser d’être réduites à leur nature, à leur corps, et écrivent que le vrai problème est qu’on leur refuse l’accès à l’éducation. Molière aura le dernier mot de ce siècle en incarnant toutes les pulsions misogynes à l’œuvre contre les femmes cultivées avec sa pièce Les Précieuses ridicules. Au XVIIIe siècle, pourtant dit Siècle des lumières, ces idées sont véhiculés par Diderot et Rousseau.
Bien sûr, quel que ce soit le siècle, mieux vaut quand on est une femme avoir de l’argent. Nombre des écrivaines ont reçu une instruction car elles sont aisées, sinon nobles. Si George Sand s’habille en homme au XIXe, c’est au XXe que la révolution des genres advient, avec Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar, Hélène Cixous, Monique Wittig, Annie Ernaux. La place des femmes en littérature – dans l’art en général ? – accompagne les bouleversements sociétaux. Ou est-ce l’inverse ? La place des femmes dans la cité, la politique et le champ artistique est toujours le révélateur de l’état d’une société.
Femmes et littérature. Une histoire culturelle (Folio Inédit Essais), édition publiée sous la direction de Martine Reid :
Tome I : Moyen Age – XVIIIe siècle (présenté par Jacqueline Cerquiglini-Touret, Joan DeJean, Edwige Keller-Rahné, Christie McDonald, Eliane Viennot), 1040 p., 13,50€
Tome II : XIXe – XXIe siècle. Francophonie (présenté par Florence de Chalonge, Delphine Naudier, Christelle Reggiani, Alison Rice), 592 p., 10,30€
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