La location de meublés à courte durée a de plus en plus le vent en poupe dans les grandes métropoles. Et cela peut avoir des conséquences désastreuses sur les villes comme le fait remarquer l’adjoint à la mairie de Paris Ian Brossat dans son livre « Airbnb, la ville ubérisée », un réquisitoire contre la plateforme américaine Airbnb.
“Bienvenue à la maison”. Trois millions de logements, 192 pays, 150 millions d’utilisateurs, Airbnb fait aujourd’hui des acteurs majeurs de la tech. Depuis son lancement en 2008, cette multinationale prône des valeurs de partage, mise sur le sentiment de communauté, dit privilégier l’échange. Basée sur une économie dite “collaborative”, l’entreprise serait rapidement devenue une “économie de prédation” selon Ian Brossat, adjoint à la Mairie de Paris chargé du logement et de l’hébergement d’urgence. Dans son livre Airbnb, la ville ubérisée, il alerte sur l’impact du géant californien sur le marché immobilier et sur l’identité des villes.
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D’abord pensée comme une plateforme permettant de mettre à disposition un lit dans une chambre d’ami pour les voyageurs afin que ceux-ci puissent vivre “comme un local”, celle-ci compte parmi ses annonces aujourd’hui bien plus de logements entiers uniquement destinés à la location à court terme. Beaucoup d’investisseurs y ont vu une réelle opportunité pour entreprendre un business lucratif. Le chef de file du Parti communiste français (PCF) aux prochaines élections européennes de 2019 se bat depuis des années pour mettre en place plus de régulations et de contrôles.
Un business juteux
Selon la loi Alur datant de 2014, seul les résidences principales dans la limite de 120 nuits par an peuvent être louées. “Tous ceux qui dépassent les 120 jours sont dans l’illégalité et privent les Parisiens et ceux qui aspirent à s’installer dans la capitale de milliers de logements. Ce sont autant d’appartements qui n’accueillent plus d’étudiants, de jeune couples ou de familles mais bien des visiteurs de passages pour des courts séjours”, assure Ian Brossat.
20 000 logements à Paris seraient ainsi concernés. Cela entrainerait des conséquences néfastes sur le marché immobilier et sur l’accès au logement dans la capitale. “De centaines de milliers de mètres carrés sont ainsi détournés de leur utilité première, alors même que la pénurie fait rage et que les fichiers de demandeurs de logements sociaux ne cessent d’accroitre”, insiste l’adjoint à la mairie de Paris. Un phénomène qui s’explique notamment par la forte rentabilité de ces logements, ceux-ci peuvent rapporter deux, trois à quatre fois plus que s’ils étaient loués de manière classique.
L’utilisation exclusive de logements pour des locations touristiques entraîne des difficultés pour les couches modestes et moyennes de se loger dans la ville. Tous les investissements font augmenter les prix du marché. Beaucoup d’habitants partent alors du centre de Paris, ne pouvant pas assumer cette hausse. Ian Brossat s’appuie sur l’exemple Barcelone où l’un des quartiers les plus fréquentés a perdu plus de la moitié de sa population en une dizaine d’année “à cause du phénomène de pied-a-terrisation et de l’invasion Airbnb”.
Identité en danger
Le féroce succès d’Airbnb dans la métropole touche également le tissu commercial. Un touriste ne va pas consommer de la même façon qu’un habitant. Le vacancier va généralement privilégier les supermarchés que les épiceries de quartier par exemple. Les boutiques traditionnelles sont petit à petit remplacées par celles de luxe. Les petits commerces encaissent durement le coup et voient leurs boutiques disparaitre. “Le nombre de commerces qui s’adressent aux touristes augmente tandis que ceux qui s’adressent aux Parisiens se font moins nombreux. Et pour ceux qui résistent vaille que vaille, la décrue des habitants ne facilite pas la tâche.” Ian Brossat précise quand même que d’autres facteurs sont aussi responsables de ces mutations, comme le commerce en ligne et les changements d’habitudes de consommation sur la longue durée.
Dans son ouvrage, l’auteur de 38 ans s’insurge contre ces immeubles entiers dédiés à la location Airbnb qui défigurent la ville. Il cite l’exemple de Montmartre dans le XVIIIe, selon lui ce quartier parisien typique est devenu “un Disneyland pour visiteurs étrangers”. Serveurs habillés à l’ancienne, de fausses vieilles devantures, mélodies d’Edith Piaf jouées à l’accordéon, autant de clichés forcés pour plaire aux touristes. Bien sûr, ce “processus d’artificialisation par le tourisme” n’est pas uniquement dû à Airbnb. Cependant, pour Ian Brossat, ce phénomène montre “comme un miroir grossissant”, le futur des villes si rien n’est fait pour réguler la location meublée de courte durée. Il dénonce également l’uniformisation des logements mis en ligne pour plaire au plus grand nombre et s’inquiète de la perte d’identité spécifique à chaque lieu.
Ubérisation de l’espace urbain
Reprenant le modèle des chauffeurs d’Uber, plateforme qui fonctionne avec des auto-entrepreneurs qui sont payés à la course, sans droits ni protections sociales, l’homme politique met en garde contre “le développement d’une économie grise à la limite de la légalité” concernant Airbnb. En effet, la firme américaine entraine la création de nombreux petits jobs extrêmement précaires, comme les concierges chargés de remettre les clés, le personnel de ménage, les photographes pour les annonces… Les loueurs vont souvent s’adresser à des auto-entrepreneurs pour s’affranchir des cotisations sociales ou faire appel à du personnel non-déclaré signale l’auteur.
A côté de cela, Airbnb va également donner naissance à des “professionnels malgré eux”. Ce sont des étudiants qui louent leur chez-eux afin de régler leur loyer et payer leurs études ou encore des chômeurs de longues durées qui tirent leurs revenus de la location. Pour eux, chaque règlementation sur la location peut potentiellement mettre en péril leur source de revenus. “L’existence de cette économie grise finit donc parfois par faire des précaires eux-mêmes les avocats de la déréglementation et de la déresponsabilisation des plateformes” constate Ian Brossat.
En plus de modifier les âmes des villes, de précariser les emplois et de restreindre l’accès au logement, Ian Brossat rappelle que “l’évitement fiscal est au cœur du business model” d’Airbnb. A son échelle, l’élu parisien essaie de mettre en place le plus de régulations possibles, comme doubler les amendes, renforcer les contrôles, mettre en place un système d’enregistrement. Un long combat contre ce géant et ses lobbys puissants. Si l’adjoint de la mairie de Paris monte au front contre Airbnb, il ne charge pas les personnes qui louent quelques semaines leur appartement. Il appelle néanmoins à un sursaut citoyen et demande à ce que chacun revendique son droit à la ville.
Ian Brossat, Airbnb, la ville ubérisée, la Ville Brûle, paru le 6 septembre 2018.
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