Depuis sa publication en 1969, l’unique roman de Leonard Gardner n’a jamais cessé d’inspirer cinéastes et écrivains. Aujourd’hui réédité, « Fat City » reste un modèle de poésie de la débine.
Certains en sont ressortis groggy. D’autres – John Huston en tête – y ont puisé des idées de film ou des leçons de style. En 1996, Denis Johnson revenait sur le choc que représenta pour lui la lecture de Fat City, “un livre où les mots avaient un tel relief que j’aurais presque pu les lire avec mes doigts, comme du braille… J’ai commencé à avoir peur de ne jamais réussir à écrire autre chose que des imitations…” La peur, les boxeurs de l’unique roman de Leonard Gardner vivent eux aussi avec à chaque instant. Et pas uniquement celle d’être envoyé au tapis lors d’un combat : aussi destructeurs qu’ils puissent être, les gnons que Billy Tully et Ernie Munger encaissent sur le ring ne sont rien à côté de ceux que leur balance le destin.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A la fin des années 50, la vie dans les plaines agricoles du nord de la Californie est une lutte sans merci, au terme de laquelle le gong sonne comme un glas. Toujours trop tôt, sans que l’ombre d’une seconde chance ne se profile à l’horizon. Quand, au soir de ses noces, le jeune Ernie réalise que le seul événement important risque d’être “après le mariage, la mort”, Billy éprouve à la veille de son trentième anniversaire la sensation que sa vie semble “approcher de son terme”.
Un grand roman sur la désespérance au quotidien
Plus qu’un simple livre sur la boxe – on n’y trouve ni managers véreux, ni combats truqués, ni stratégies sophistiquées –, Fat City est en effet un grand roman sur la désespérance au quotidien, sur la guerre d’attrition que le temps livre à des hommes abonnés aux désillusions et confrontés dans les rues de Stockton à “une fantasmagorie de visages épuisés, mutilés, de nez tordus, écrasés et bouffis, de bouches édentées, de chicots noircis, de gencives désertées… d’yeux las, désespérés, hagards sous les lumières violentes”.
En chantant le labeur éreintant, le sexe glauque et l’alcool triste, Gardner revisitait en 1969 l’Amérique pue-la-sueur de Steinbeck et de Woody Guthrie, mais tirait de cette plongée dans l’univers des losers un petit chef-d’œuvre de poésie lugubre.
Fat City (Tristram), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Girard, 214 pages, 8,95 €
{"type":"Banniere-Basse"}