À travers un parcours dans l’espace urbain et le temps de l’histoire, Marc Berdet met en évidence l’accomplissement de la logique capitaliste dans le développement de la ville-marchandise.
« Sous les pavés, la plage”, clamait-on en 1968 ; “sous les pavés, le capital”, pourrait-on avancer aujourd’hui avec le sociologue Marc Berdet, qui se livre à l’archéologie de la “ville-marchandise” dans son essai Fantasmagories du capital. Prolongeant le concept esquissé par Walter Benjamin dans Paris, capitale du XIXe siècle, l’auteur redéfinit ces “fantasmagories” comme des “lieux clos saturés d’imaginaires”, des “rêvoirs collectifs communs”.
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Au fil de ses errances urbaines, dans l’histoire et le présent, des premiers grands magasins parisiens aux “shopping-malls”, l’auteur traque le social sous la pierre, “la topographie anthropocentrique sous la topographie architectonique”. L’histoire de l’espace urbain est pour lui “celle d’une mobilisation toujours plus structurée de nos désirs intimes par l’architecture”. Le Paris d’Haussmann forme ainsi un modèle de collusion entre urbanisme hygiéniste, capital industriel et pouvoir autoritaire : “un poème épique revu par un professeur de grammaire”, selon un observateur de l’époque. La réussite du texte de Berdet tient à la symbiose entre un soin précis porté au cadre architectural et un regard plus anthropologique.
La « végasisation » du monde contemporain
Déchiffrant ces espaces “comme on interprète un rêve”, Marc Berdet s’attarde en particulier sur la “végasisation” du monde contemporain – en référence à la capitale du jeu –, déjà identifiée par des auteurs comme Bruce Bégout ou Mike Davis. Les “malls” sont aujourd’hui “des rébus qui amalgament des éléments de la réalité extérieure, l’intérêt d’une classe dominante et l’inconscient de toutes les classes”. Dans ces enfers, paradis du kitsch, l’individu, absent à lui-même, se transforme en consommateur impulsif au gré des charmes du décor. L’architecture “fun”, “mixte de mythes marchands et de marchandises mythiques”, a gagné le monde entier. Même dans tous les vieux quartiers européens, de Londres (Covent Garden) à Paris (Bercy Village), le passé et le futur s’enchevêtrent dans un présent insignifiant. Partout le vrai et le faux s’emmêlent de plus en plus dans un banal monde synthétique.
Les États-Unis ont consacré dans les dix dernières années 40% de leurs dépenses de renouvellement urbain à ce type de malls ! Le “matérialisme topographique” ici déployé offre un cadre d’analyse éclairant de nos imaginaires sociaux et politiques, “à condition d’entendre matérialisme comme une contextualisation historique des phénomènes sociaux, et topographique comme l’échelle locale où s’enchevêtrent visions réelles et imaginaires de l’espace urbain”. La logique du capital a trouvé dans les tristes méandres de la ville-marchandise l’espace emblématique de son empire.
Jean-Marie Durand
Fantasmagories du capital – L’invention de la ville-marchandise (Zones), 270 pages, 22 €
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