Deux romans américains récents passent la famille modèle à la moulinette – dans la grande tradition littéraire US.
Comment ça va, la famille ? Mal ! Très mal, même ! Et les écrivains s’en réjouissent. Plus que nulle autre, la littérature américaine produit chaque année son lot de “romans familiaux”. En ligne de mire : Les Corrections, le chef-d’œuvre de Jonathan Franzen. Dans le viseur : la cellule familiale, généralement deux parents, des enfants et une armada de névroses plus ou moins sous-jacentes.
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Parce qu’elle est le lieu d’une vérité intime et de la formation du moi, du couple et de l’hérédité, la famille est un terrain de jeu idéal pour les romanciers qui s’intéressent à l’envers du rêve américain. Le papa, la maman et les enfants, souriants, unis devant le monde – et leur maison douillette –, c’est la façade que la société a inventée pour s’ordonner et que la littérature se doit de démonter pour en exposer les rouages. La recette : jetez-y du drame et regardez les illusions fondre comme neige au soleil, laissant apparaître au grand jour une carcasse plus ou moins pourrie.
Malheur profond
Le formidable premier roman de Bret Anthony Johnston s’ouvre sur une scène d’une triste trivialité : en plein après-midi, un homme prend une douche dans la grande villa de sa maîtresse. Eric Campbell est marié mais entretient depuis de longs mois une liaison adultère culpabilisante. Mais il a une excuse : il y a quatre ans, son plus jeune fils, Justin, 11 ans à l’époque, a disparu sans laisser de traces.
L’angoisse a fait place à l’espoir, qui s’est depuis changé en un malheur profond, qui ronge comme l’acide les fondations de son foyer. Sa femme Laura passe ses nuits à faire du bénévolat dans un parc aquatique, son autre fils Griff traîne son ennui et son skate-board sur les trottoirs de la ville… Le jour où Justin est retrouvé dans une ville voisine et réintègre le foyer, la famille réunifiée, ivre de joie, devrait reprendre le bonheur là où elle l’avait laissé. Mais tout n’est bien sûr pas si facile.
Trou noir
Avec une exceptionnelle finesse psychologique, qui rappelle par moments Il faut qu’on parle de Kevin de Lionel Shriwer, Johnston ausculte au plus près l’isolement de ses quatre personnages, se rapprochant de chacun mais pas de Justin, qui demeure comme une ombre chinoise mystérieuse, un trou noir autour duquel chacun gravite sans trop savoir quelle attitude adopter.
Un trou noir est aussi au cœur du premier roman de Celeste Ng. Depuis la mort de Lydia, la famille Lee perd la raison : elle était la fille préférée, le grand espoir de son père, un fils d’émigrés chinois qui projetait sur elle ses rêves d’intégration, et de sa mère qui espérait la voir venger ses ambitions professionnelles déçues. Mais que pensait-elle, elle ? Qu’aimait-elle vraiment ? A quoi rêvait-elle en secret ?
Pour comprendre, James et Marilyn vont devoir regarder en face leurs tragiques manquements, quitte à détruire les bases mêmes de ce qu’ils croyaient être leur réussite : un couple américain moderne, multiculturel et dévoué à ses enfants. Un roman intelligent et fin sur l’émigration et ses illusions.
Tout ce qu’on ne s’est jamais dit de Celeste Ng (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau, 288 pages, 19 €
Souviens-toi de moi comme ça de Bret Anthony Johnston (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon, 438 pages, 22 €
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