Auteur plein de doutes, Fabrice Caro, mieux connu sous le nom d’auteur de Fabcaro, fait l’objet d’une énorme rétrospective à la Cité de la BD d’Angoulême. Depuis le succès de sa BD Zaï Zaï Zaï Zaï (2015) et de ses romans Le Discours (2018) ou Broadway (2020), l’auteur le plus drôle de France a du s’habituer à voir sa “bulle d’absurde” prise d’assaut par les lecteur·trices. Interview d’un auteur que la réussite “tétanise”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême te consacre une énorme rétrospective. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Je suis assez partagé. D’un côté, je trouve ça hyper émouvant. De l’autre, ce côté rétrospective est un peu déprimant, comme ces acteurs morts dont on passe la photo aux Césars. Pour moi qui suis de nature discrète, me retrouver au centre de l’attention ça me tétanise. Mais si l’expo fait plaisir aux gens qui aiment bien mon travail, c’est chouette.
Es-tu un bon archiviste de ton propre travail ?
Pas tellement. Ce qui fait marrer Mathieu Charrier, un des deux commissaires de l’expo. Il m’a demandé un tas d’originaux, mais aussi des vinyles. Je lui ai dit : “les originaux, si vous les perdez, ce n’est pas très grave, par contre, faites gaffe aux vinyles, j’y tiens.” Je ne suis pas tellement gardien du temple, je garde mes planches en vrac dans des classeurs, j’ai perdu des choses en route. À la sortie de ma BD Zaï Zaï Zaï Zaï, j’ai même vendu des pages à 70 balles. Je suis plus amoureux de l’objet livre, ça reste le but ultime.
Dans tes recherches, tu as retrouvé un numéro des Inrocks de 2002 fait par les lecteurs. À l’intérieur, plein de dessins de toi !
Oui, on y trouve mes tout premiers strips (bandes dessinées de quelques cases – ndlr) , hyper maladroits, sous influence de Lewis Trondheim (dessinateur français de BD – ndlr). C’est pour ça que j’ai aimé revenir aux Inrocks en 2018 pour les planches d’Open Bar, j’adore ce principe de boucle, ces petits clins d’œil de la vie.
Collaborer avec Éric Judor pour le roman-photo Guacamole Vaudou, c’est aussi réaliser une boucle ?
De plus petite circonférence mais, oui, je suis très fan de Éric et Ramzy, j’ai adoré sa série Platane (2011) et son film Problemos (2017). On est de la même famille d’humour. Notre rencontre a eu lieu à l’initiative de Nathalie Fiszman, éditrice au Seuil, mais travailler ensemble tenait presque de l’évidence.
L’expo revient sur tes réussites, mais aussi sur les travaux de commande réalisés sous pseudo. Cette expérience t’a aussi construit ?
J’en ai un peu honte, je l’ai toujours un peu cachée, mais comme Maël Rannou, l’autre commissaire d’expo, est très fort, il a tout retrouvé ! Ça fait partie de mon parcours. Pour remplir le frigo, j’avais accepté d’écrire des scénarios pour des BD grand public pas hyper glorieuses. Les gags étaient vraiment au premier degré, alors que je préfère naviguer entre le 3e et le 4e. Je les écrivais à la chaîne, ce qui m’a appris une certaine gymnastique.
“Comme j’ai une quarantaine de BD derrière moi, j’essaye de m’amuser et, si possible, de retomber le moins possible sur des recettes”
Quand tu débutes un roman ou une BD, c’est un travail sérieux ou tu cherches à lâcher prise ?
C’est le délire dans la rigueur et vice-versa, un mélange de laisser-aller, de folie et en même temps de discipline. J’ai un point de départ qui tient sur un post-it et après j’improvise. La rigueur vient du fait que l’humour tient parfois à un silence, une virgule. Comme j’ai une quarantaine de BD derrière moi, j’essaye de m’amuser et, si possible, de retomber le moins possible sur des recettes. Pour les romans, je les écris à la première personne, comme ça vient. Si j’avais un plan, je m’ennuierais assez vite, je n’aurais pas l’énergie d’aller jusqu’au bout. C’est pour ça que je pars dans tous les sens. Cet esprit d’escalier ressemble au fonctionnement de mon cerveau.
Les protagonistes de tes romans sont-ils des alter egos ?
Oui, des avatars de ce que je suis, en pire j’espère car je pousse loin le curseur de la névrose. Ça va mieux avec l’âge, mais je ne suis pas très adapté aux conventions sociales. Les personnages de mes trois derniers romans sont interchangeables – d’ailleurs, ils s’appellent un peu pareil : Axel, Adrien et Alan. C’est l’archétype de l’inadapté qui se pose mille questions.
Cela t’aide de passer d’une écriture à une autre ?
Oui, après cinq mois sur une BD, j’ai envie de roman. Et l’inverse est vrai. Dans mes romans, je m’autorise plus de sentimentalité, de mélancolie. L’humour n’y est pas une fin en soi, mais un outil. Comme il ne s’agit pas de la même écriture, j’ai tenu à dissocier les deux activités en signant les BD Fabcaro et les romans Fabrice Caro. Ce sont des ressorts différents, c’est pourquoi j’ai voulu cloisonner. Mais j’écris et je dessine depuis que je suis tout petit.
Quels sont les romanciers qui t’ont donné envie d’écrire ?
À 18 ans, j’ai lu (Philippe – ndlr) Djian, Maudit Manège, qui a été ma première claque, mais aussi (John – ndlr) Fante, (Charles – ndlr) Bukowski, (Richard – ndlr) Brautigan, ou Septentrion de Louis Calaferte. Ces auteurs m’ont fait fantasmer avec leur imagerie romantique de l’écrivain fauché, qui tape sur une vieille machine à écrire en fumant des clopes.
Dans ta dernière BD, Moon River, ta parodie de polar, tu représentes tes filles essayant de te dissuader d’aller au bout de cette BD, c’est authentique ?
Oui, elles étaient mortes de honte. “Tu ne vas pas faire une histoire de bite dessinée sur la joue, c’est trop la honte”. J’aime les mises en abyme, intégrer dans l’album en cours ce que je suis en train de vivre. Quand j’ai eu cette idée de bite dessinée sur la joue d’une actrice, j’ai éclaté de rire. Je me suis dit que, même si j’étais le seul à me marrer, ça ne serait pas trop grave.
“J’ai toujours pensé qu’en France, on n’avait pas cette culture de l’absurde. Force est de constater que je me suis trompé. Quand Zaï Zaï Zaï Zaï a explosé, ça m’a fait remettre en cause mes certitudes”
Que ton humour soit partagé par d’autres a été un soulagement ?
J’ai toujours pensé qu’en France, on n’avait pas cette culture de l’absurde. Force est de constater que je me suis trompé. Je vendais 2000 exemplaires par album, ça m’allait bien et puis quand Zaï Zaï Zaï Zaï a explosé, ça m’a fait remettre en cause mes certitudes. Après, je suis angoissé de nature, je me dis que si ça monte trop haut pour moi, c’est uniquement pour redescendre très vite.
Concernant les adaptations au cinéma ou au théâtre de tes livres, comment les gères-tu ?
J’ai tendance à dire oui à tout, ce qui m’a posé pas mal de problèmes. Ça a pu bouchonner au niveau des contrats. Le principe, c’est que je fais les livres et ce qui se passe après ne m’appartient plus. On m’envoie au fur et à mesure les scénarios et je me fais un point d’honneur à ce que mes retours soient très laconiques, pas du tout constructifs. Après, j’essaye de voir toutes les adaptations, par respect pour les personnes qui s’en sont chargées.
Écris-tu pour mieux t’abstraire du monde actuel ?
Mon travail n’est pas ouvertement politique mais, pour autant, je me sens touché par ce climat anxiogène. Il y a des auteurs qui s’en guérissent en traitant l’actu, moi c’est l’inverse. J’ai besoin d’aller dans ma bulle d’absurde qui m’allège un petit peu. Souvent, je me pose des questions sur mon utilité. “Le mécanicien répare les voitures, les chirurgiens sauvent des vies. C’est fou, mon boulot ne sert à rien.” Et puis, en dédicace, des gens me disent que je leur fais du bien, c’est émouvant.
Mènes-tu tes projets en parallèle ?
Oui, je suis un hyperactif maladif, c’est pour ça que je produis autant. Si un projet m’inspire moins, je passe à l’autre. Là, je suis parti sur une pièce de théâtre, une forme que je n’ai jamais abordée. Je suis aussi en train de gribouiller un scénario de film. Ce sont deux formes que je ne connais pas, du coup ça m’excite.
Tu n’arrêtes jamais d’écrire ?
Au-delà de ma passion, c’est mon mode de vie. J’ai fait le deuil de vacances, l’étape de la création est une sorte de drogue. Je ne vais pas faire de la psychologie à deux balles, mais je crois que je cherche à retrouver cet état d’hyper inspiration que l’on a, enfant, quand on joue et que l’on crée avec ses Playmobil®. Il n’y a pas longtemps, mes parents m’ont ressorti une anecdote. Ils m’avaient demandé : “Qu’est-ce que tu voudras faire plus tard ?” J’avais 8-9 ans et je leur ai répondu : “Je ne veux pas de patron.” Je crois que ce cap, je l’ai tenu.
Exposition Fabcaro sur la colline, Cité internationale de la BD et de l’Image, Musée de la BD, quai de Charente, Angoulême. Du 12 juillet au 5 mars 2023.
Derniers livres publiés : Samouraï de Fabrice Caro (Sygne/Gallimard), 224p., 18€ en librairie.
Guacamole Vaudou d’Éric Judor et Fabcaro (Seuil), 80p., en librairie.
{"type":"Banniere-Basse"}