Raymond Carver naît en 1938 dans l’Oregon, aux Etats-Unis, et meurt en 1988. A la fois romancier, poète et nouvelliste, il se fait connaître mondialement grâce à What We Talk About When We Talk About Love. Débutants est la version complète, originale de cette oeuvre parue en 1981 sous le titre Parlez-moi d’amour.
Max s’amenait sur le trottoir avec un sac de la supérette. Il rapportait
des sandwichs, de la bière et du whisky. Il avait continué de boire
tout l’après-midi et atteint une région où la boisson semblait maintenant
commencer à le dégriser. Mais il y avait des passages à vide. Il
s’était arrêté au bar à côté de la supérette, avait écouté une chanson
sur le juke-box, et puis voilà que la nuit était déjà tombée quand il
s’était souvenu du déballage dans son jardin.
Il vit la voiture dans l’allée et la fille sur le lit. Le poste de télévision
était allumé. Puis il vit le garçon sur la véranda. Il fit quelques pas
dans le jardin.
« Bonsoir, dit-il à la fille. Je vois que vous êtes sur le lit. C’est bien.
– Bonsoir, dit la fille, et elle se leva. C’était pour l’essayer. » Elle
tapota le lit. « C’est un très bon lit.
– Un bon lit, oui, dit Max. Qu’est-ce que je peux ajouter ? »
Il savait qu’il aurait dû ajouter quelque chose. Il posa le sac et en
sortit la bière et le whisky.
« On a cru qu’il n’y avait personne, dit le garçon. Le lit nous intéresse
et peut-être la télé. Peut-être le bureau. Combien vous en voulez,
du lit ?
– Je pensais en demander cinquante dollars, dit Max.
– Vous en accepteriez quarante ? demanda la fille.
– D’accord, quarante », dit Max.
Il prit un verre dans le carton, en ôta le papier journal et brisa le cachet de la bouteille de whisky.
« Et pour la télé ? dit le garçon.
– Vingt-cinq.
– Vous en accepteriez vingt ? dit la fille.
– Disons vingt. Je peux me contenter de vingt », dit Max.
La fille regarda le garçon.
« Vous buvez un coup, les enfants ? dit Max. Il y a des verres dans
ce carton. Moi, je vais m’asseoir. Je vais m’asseoir sur le canapé. »
Il s’assit sur le canapé, s’y adossa à la renverse et les regarda
fixement.
Le garçon prit deux verres et versa du whisky.
« Combien tu en veux ? » demanda-t-il à la fille. Ils n’avaient que
vingt ans, ce garçon et cette fille, le même âge, à un ou deux mois près.
« Voilà, assez, dit-elle. Je crois que je vais le prendre avec de l’eau. »
Elle tira une chaise et s’assit à la table de cuisine.
« Il y a de l’eau au robinet, là, dit Max. Ouvrez le robinet. »
Le garçon ajouta de l’eau au whisky, au sien et à celui de la fille. Il
s’éclaircit la gorge avant de s’asseoir à la table de cuisine lui aussi.
Puis il sourit. Des oiseaux zigzaguaient dans le ciel à la poursuite d’insectes. Max s’absorba dans la contemplation de la télévision. Il finit son verre.
Il tendit la main afin d’allumer le lampadaire et laissa tomber sa cigarette
entre les coussins. La fille se leva pour l’aider à la retrouver.
« Tu veux autre chose, chérie ? » demanda le garçon. Il sortit le
chéquier. Il versa encore du whisky pour lui-même et pour la fille.
« J’aimerais bien le bureau, dit la fille. Combien il faut compter, pour
le bureau ? »
Max balaya de la main cette question saugrenue.
« Dites un chiffre », fit-il.
Il les regarda installés à la table. A la lumière du lampadaire, il
croyait lire quelque chose dans l’expression de leur visage. L’espace
d’une minute, cette expression lui sembla celle de deux conspirateurs,
puis elle devint, mais oui, tendre – il n’y avait pas d’autre mot. Le garçon
toucha la main de la fille.
« Bon, j’éteins cette fichue télé et je mets un disque, annonça Max.
Mon tourne-disque est à vendre aussi. Pas cher. Dites un chiffre. »
Il se versa de nouveau du whisky et ouvrit une bière.
« Tout est à vendre. »
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