Raymond Carver naît en 1938 dans l’Oregon, aux Etats-Unis, et meurt en 1988. A la fois romancier, poète et nouvelliste, il se fait connaître mondialement grâce à What We Talk About When We Talk About Love. Débutants est la version complète, originale de cette oeuvre parue en 1981 sous le titre Parlez-moi d’amour.
Si vous dansiez ?
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A la cuisine, il se versa un nouveau verre et regarda les meubles de la chambre à coucher dans le jardin devant chez lui. Le matelas était nu et les draps aux rayures multicolores, posés à côté de deux oreillers sur le chiffonnier. En dehors de ça, les choses avaient à peu près la même allure que dans la chambre – table et lampe de chevet de son côté à lui du lit, table et lampe de chevet de son côté à elle. Son côté à lui, son côté à elle. Il y songea en sirotant le whisky. Le chiffonnier était à un mètre du pied du lit. Il en avait vidé les tiroirs dans des cartons, ce matinlà, les cartons étaient dans la salle de séjour. Il y avait un radiateur d’appoint à côté du chiffonnier. Un fauteuil de rotin avec un coussin de tapisserie au pied du lit. La batterie de cuisine d’aluminium brillant occupait une partie de l’allée. Une nappe de mousseline jaune, bien trop grande, un cadeau, recouvrait la table et pendait sur les côtés. Il y avait une fougère en pot sur la table, et aussi une ménagère, autre cadeau. Un gros poste de télévision sur une table basse avec, à deux ou trois mètres, un canapé, un fauteuil et un lampadaire. Il avait branché une rallonge dans la maison et tout y était raccordé, les appareils fonctionnaient. Le bureau était poussé contre la porte du garage. Il y avait quelques ustensiles sur le bureau, et aussi une pendule murale et deux gravures encadrées. Il y avait encore dans l’allée un carton de tasses, de verres et d’assiettes, chaque objet emballé dans
du papier journal. Le matin, il avait vidé les placards et, en dehors
des trois cartons dans le séjour, tout était devant la maison. De temps
à autre, une voiture ralentissait et ses occupants jetaient des regards.
Mais personne ne s’arrêtait. Il se dit qu’il ne se serait pas arrêté non
plus.
« Mince alors, ça doit être un vide-grenier », dit la fille au garçon.
Cette fille et ce garçon étaient en train de meubler un petit appartement.
« Voyons combien ils vendent le lit, dit la fille.
– Je me demande combien ils vendent la télé », dit le garçon.
Il obliqua dans l’allée et s’arrêta devant la table de cuisine.
Ils descendirent de la voiture et se mirent à examiner les objets. La
fille toucha la nappe de mousseline. Le garçon brancha le mixeur et
tourna le bouton en position HACHIS. Elle souleva un réchaud à alcool.
Il mit en marche la télévision et la régla soigneusement. Il s’assit
sur le canapé pour regarder. Il alluma une cigarette et, après un
coup d’oeil circulaire, jeta l’allumette dans l’herbe. La fille s’assit sur
le lit. Elle quitta ses souliers et s’étendit. Elle aperçut l’étoile du berger.
« Viens, Jack. Essaye le lit. Apporte un des oreillers, là, dit-elle.
– Il est comment ? dit-il.
– Essaye-le », répondit-elle.
Il lança un regard en arrière. Dans la maison, rien n’était allumé.
« Ça me gêne, dit-il. Faudrait voir s’il n’y a personne. »
D’un coup de reins elle rebondit sur le lit.
« Essaye-le d’abord », dit-elle.
Il s’étendit sur le lit et mit l’oreiller sous sa tête.
« Comment tu le trouves ? dit la fille.
– Il est ferme », répondit-il.
Elle se tourna sur le côté et lui mit le bras autour du cou.
« Embrasse-moi, dit-elle.
– Relevons-nous, dit-il.
– Embrasse-moi. Embrasse-moi, chéri », dit-elle.
Elle ferma les yeux. Elle le retint. Il dut lui saisir les doigts pour lui
faire lâcher prise.
Il dit « Je vais aller voir s’il y a quelqu’un», mais se redressa et resta
assis.
La télévision était toujours en marche. On avait allumé la lumière dans certaines maisons d’un bout à l’autre de la rue.
Il s’assit au bord du lit.
« Qu’est-ce que ce serait drôle que », dit la fille, et elle sourit sans
terminer sa phrase.
Il rit. Il alluma la lampe de chevet.
Elle chassa un moustique de la main.
Il se leva et rentra sa chemise dans son pantalon.
« Je vais voir s’il y a quelqu’un, dit-il. Je crois qu’il n’y a personne.
Mais s’il y a quelqu’un, je demanderai les prix.
– Quel que soit leur prix, propose dix dollars de moins, dit-elle. Ils
doivent être dans une situation plus ou moins désespérée. »
Elle s’assit dans le lit pour regarder la télévision.
« Tant qu’à faire, monte le son, dit la fille avec un petit rire.
– C’est une bonne télé, dit-il.
– Demande-leur le prix. »
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