C’était il y a trente ans : en 1994, Michel Houellebecq publiait son premier roman, Extension du domaine de la lutte, et inventait ce qui allait devenir les poncifs de la littérature française pendant les trente années qui allaient suivre.
L’entreprise ou le monde du travail comme cadre romanesque, du réalisme néo-balzacien, un personnage masculin cadre moyen et dépressif ne trouvant pas l’amour, désenchanté et morbide, le sexe n’étant abordé que par le prisme du libéralisme. Et le tout servi par une écriture neutre comme preuve d’objectivité, de véracité sociologique, et des personnages aux noms résolument Français moyens.
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Une influence discutable
En 2024, on peut raisonnablement s’essayer à un bilan de l’influence qu’aura eu Houellebecq sur la littérature française. Et force est de constater que s’il lui a fait du bien avec ses propres livres, il lui aura fait du mal avec les livres des autres. Il suffit de lire le nouveau roman de David Foenkinos, La Vie heureuse, qui s’inscrit de façon aussi flagrante que caricaturale d’inspiration houellebecquienne, pour le comprendre. Foenkinos nous plonge dans le monde de l’entreprise (comme Extension) et dans celui de la politique (comme Anéantir), à travers un personnage masculin, Éric Kherson, dépressif et solitaire, séparé de sa compagne, ne s’occupant pas de son fils.
Éric passe de son job à Décathlon à un job auprès d’Amélie Mortiers, une executive brillante en charge de deals internationaux de haute volée pour le gouvernement Macron. L’accompagnant à Séoul pour un énième important contrat, Éric lâchera tout à la suite d’une near death experience : la société Happy life met en scène votre propre mort pour mieux vous rapprocher de la vie. Et ça marche : après avoir passé quelques heures salutaires enfermé dans son (faux) cercueil, Éric va plaquer son job, retrouver son fils, envoyer balader sa mère qui le harcèle (les seules très bonnes pages du livre sont celles de l’abus familial), et se réinventer en mystique.
Non, on plaisante : il se réinvente en entrepreneur à succès, ce qui lui vaudra de rafler à la fin (attention, spoiler) le gros lot amoureux, soit la très forte Amélie Mortiers. Notons que le happy end n’appartient qu’à David Foenkinos. Michel Houellebecq aurait au moins eu le bon goût d’achever son personnage.
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 11 janvier. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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