Dans “Hitchcock s’est trompé”, Pierre Bayard s’empare de “Fenêtre sur cour” pour démontrer que tout le monde a raté sa vérité cachée. Le crime était presque parfait, mais n’était pas celui qu’on croyait. Un récit touffu, haletant, fougueux et d’une drôlerie intrinsèque, qui se dévore comme un bon polar.
Quel nuage de mouches a fondu sur Pierre Bayard et l’a piqué au vif pour qu’il se décide à écrire un essai dont le titre est déjà tout un programme, à la fois intriguant et provocateur : Hitchcock s’est trompé (éd. Minuit) ? Et singulièrement, comme le précise le sous-titre, à propos de Fenêtre sur Cour, un de ses chefs-d’oeuvre sorti aux États-Unis en 1954 ? 69 ans plus tard, l’auteur se lance donc dans une contre-enquête dont il ressort que non seulement des millions de spectateurs et une palanquée de critiques se sont trompés sur le fin fond du film mais aussi Hitchcock lui-même car, comme le précise l’auteur, “il peut arriver à un créateur de méconnaître des pans entiers de sa propre œuvre”.
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Bien plus, au nom de sa méthode dite de la “critique policière”, Pierre Bayard, qui nous avait déjà fait le coup avec Qui a tué Roger Ackroyd ? et d’autres de ces essais à rebrousse-poil, écrit : “Il se peut que les personnages de fiction disposent d’une marge d’autonomie importante et qu’il leur arrive d’accomplir des actes à l’insu de celui qui leur a donné naissance, et donc, par exemple, de commettre des meurtres sans qu’ils en soient informés.” Diable ! Autrement dit, dans Fenêtre sur cour, le crime perpétré par un représentant de commerce sur son épouse relèverait d’un vaste délire d’interprétation fomenté par les deux voyeurs : Jeff (James Stewart), photographe de presse qu’une jambe cassée immobilise dans son appartement, depuis lequel il observe ses voisins ; et Lisa Fremont, sa fiancée (Grace Kelly), mannequin. En résumé : tel un train, un meurtre peut en cacher un autre.
Délicieusement zinzin
Pierre Bayard avertit que son livre “est un roman policier”. Et qu’il est donc “fortement déconseillé aux lecteurs·rices de feuilleter les dernières pages, qui donnent la solution de l’énigme”. Soit, mais dévoilons tout de même, pour aguicher, qu’un petit chien nommé Puppy dans Fenêtre sur cour va peu à peu prendre du poil de la bête.
L’auteur a raison de qualifier son roman de policier car il a l’art de manigancer différents suspens et de faire rebondir son action dans les marges de la psychanalyse et de la philosophie quand elle menace de mollir. Le tout emballé par un humour délicat, qui distancie tout autant la mise en scène de son entreprise que notre délectation à la lire. Pour preuve, une citation inaugurale d’Hitchcock lui-même : “On critique la nullité de la police, mais que Dieu nous protège des brillants détectives amateurs !” Amateur, Pierre Bayard ? Certes oui, mais du genre amoureux, tant son récit est gorgé d’une connaissance encyclopédique et d’une admiration sans borne pour l’œuvre d’Hitchcock. Et détective tout aussi sûrement, farfouillant dans tous les recoins de Fenêtre sur cour pour en extraire un gigantesque bonus-malus, parfois délicieusement zinzin quand à sa fenêtre de romancier il est à son tour saisi par “l’euphorie de l’interprétation” ; mais plus grave qu’il n’y paraît lorsqu’à l’occasion de sa dissection de la paranoïa qui fait carburer tous les personnages du film surgit une réflexion d’actualité sur les diverses crédulités collectives dont nous sommes capables à l’heure du complotisme généralisé.
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