Une romancière allemande recluse dans la banlieue Est de Londres. Des photographies “insignifiantes” glissées entre les pages d’un récit biographique. A lire La Rivière, premier roman traduit en français d’Esther Kinsky, on songe par ricochet à son compatriote W.G. Sebald, autre exilé en Grande-Bretagne qui, lui aussi, procédait de l’infra à l’ultra. Mais la comparaison, […]
De ses pérégrinations le long de différents fleuves, Esther Kinsky dessine des paysages biographiques empreints de désolation. Une mélopée poétique.
Une romancière allemande recluse dans la banlieue Est de Londres. Des photographies “insignifiantes” glissées entre les pages d’un récit biographique. A lire La Rivière, premier roman traduit en français d’Esther Kinsky, on songe par ricochet à son compatriote W.G. Sebald, autre exilé en Grande-Bretagne qui, lui aussi, procédait de l’infra à l’ultra.
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Mais la comparaison, pour flatteuse qu’elle soit, ne réduit pas l’entreprise. Car Esther Kinsky a sa façon bien à elle d’extirper d’un minimum d’observations, un maximum d’effets. Ainsi de son obsession symbolique pour la rivière Lea, “qui prend sa source dans les basses collines du nord-ouest de Londres, s’échappe à travers un paysage aux grâces dociles, atteint ces bords francs où la ville s’effrange, suit alors la ceinture sans fin des faubourgs, enroule le bras autour des limites du vieux Londres canaille, retors et industrieux, pour, enfin, à huit miles au sud-est de Springfield Park, rejoindre la Tamise qui déjà s’élance vers la mer”.
Ce récit “au bord de l’eau” (comme le suggère le titre original, Am Fluss) est une mélopée méditative. La narratrice regarde toutes les choses humaines comme lamentables ou dépressives. Elle voit la désolation de l’univers, tout ce qui, des origines du capitalisme industriel jusqu’à nos jours, souille et nous ruine.
De la Lea au Rhin et au Gange
Mais ce lamento est aussi un chant d’amour ; et en sourdine, lors de la lecture, il nous vient de fredonner la ritournelle Cry Me a River. Esther Kinsky nous pleure sa rivière dont le flux va nous entraîner vers d’autres fleuves : les rives du Rhin où elle est née, ou celles du Gange, Styx boueux qui charrie les morts.
La rivière est une randonnée (mot qui vient de l’anglais random, hasard), une divagation qui, à la moindre occasion, déchaîne les tempêtes de la grande littérature. Un coup de vent sur Londres qui prend les proportions d’une apocalypse. Ou un fantôme mélancolique qu’elle nomme “le Roi” dans un embrasement de haute poésie : “Il s’avançait là, royal et dans une grande solitude, à la lisière de ce parc que la grande métropole avait un peu oublié, et les oiseaux aux noirs claquements d’ailes, dont les cris perçants peu à peu refluaient, étaient ses seuls alliés.” Gérard Lefort
La Rivière (Gallimard), traduit de l’allemand par Olivier Le Lay, 400 pages, 24,50 €
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